La boîte à bébés, boîte à controverses
La boîte à bébés, boîte à controverses
Image © Michele Limina
La boîte à bébés de l'Hôpital régional d'Einsiedeln (SZ) vient de recueillir un cinquième nouveau-né depuis sa création en 2001
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Il y a trois semaines, un nourrisson était déposé dans la boîte à bébés de l'Hôpital régional d'Einsiedeln, dans le canton de Schwytz. C'est le cinquième nouveau-né recueilli par ce biais depuis l'ouverture voici neuf ans de l'unique Babyklappe de Suisse. Une installation qui ne cesse depuis 2001 d'alimenter la polémique sur fond de campagne pro- et anti-avortement
Albertine Bourget - le 13 février 2010, 22h49
Le Matin Dimanche
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Ce samedi 23 janvier, quand elle est arrivée à la maternité de l'Hôpital régional d'Einsiedeln, la sage-femme Andrea Schärer a vu sa collègue avec un nourrisson dans les bras. «Ah, tu as eu une naissance cette nuit?» «Non, a répondu la collègue. Le bébé n'est pas né ici.» Andrea Schärer a compris: le nourrisson avait été déposé la veille dans la «boîte à bébés» de l'établissement.
De cette petite fille, nous ne saurons ni le prénom qui lui a été donné, ni son âge - «on peut essayer de l'estimer avec l'état du nombril» - ni la couleur de sa peau. Juste qu'elle est en bonne santé et qu'elle a été déposée à la nuit tombée, comme les quatre autres bébés qui l'ont précédée depuis l'installation de la «fenêtre à bébés» en 2001. Sur le reste, l'hôpital comme les autorités de tutelle d'Einsiedeln gardent le silence.
L'enfant a, depuis, quitté l'hôpital pour une famille d'accueil. «Je me dis qu'ils doivent avoir du mal à la coucher. Ici, nous la portions quasi en permanence», sourit Andrea Schärer. Dans la petite maternité, elle était soignée et dormait dans une pièce à part, pour la protéger de trop de curiosité. «Bien sûr, s'en occuper provoque toutes sortes d'émotions, raconte la jeune femme. Les enfants qui naissent ici, on les recroise au supermarché ou sur le terrain de jeux. Elle, on sait qu'on ne la reverra jamais. Ça fait un peu mal. Mais, en fait, ajoute-t-elle, ce n'est pas elle qui m'a fait le plus de peine. Je voyais qu'elle allait bien, je me dis qu'elle va faire le bonheur d'une famille. C'est quand je pensais à sa mère que les larmes montaient. On ne sait pas dans quelles conditions elle a accouché, si elle n'a pas de complications. J'aimerais lui dire qu'elle se manifeste, et que j'espère qu'elle s'est fait examiner.»
Lettre en dix langues
Le bébé a été amené en voiture à Einsiedeln, vraisemblablement par sa mère qu'une tierce personne avait conduite à l'hôpital. Depuis la route, il suffit de faire quelques pas dans la neige jusqu'au bâtiment principal. Une flèche discrète indique la direction de la Babyklappe. Dans le mur, une fenêtre qui s'ouvre de l'extérieur et donne sur un berceau d'hôpital. Dès l'ouverture actionnée, le chauffage se met en route. Sur la couette, une lettre en dix langues - allemand, français, anglais, bosniaque, serbe, turc... - qui remercie la mère d'avoir donné à l'enfant «une nouvelle chance de connaître une vie heureuse» et lui recommande de se faire examiner et de se manifester. Comme le veut la loi, les parents ont un an pour récupérer la petite fille déposée fin janvier.
Une fois refermée, la fenêtre ne peut plus être rouverte de l'extérieur. Après trois minutes - le temps de quitter les lieux - une alarme se déclenche. A l'intérieur, le personnel alerté va chercher l'enfant en ouvrant la vitre de plexiglas fermée à clé qui protège le berceau. Le petit lit est caché des regards par un simple paravent japonais, au bout d'un couloir donnant sur le hall d'accueil. Le bon fonctionnement de la boîte est testé toutes les deux semaines, précise Andrea Schärer. A Hanovre, en 2008, un nouveau-né déposé devant une fenêtre à bébés qui refusait de s'ouvrir avait été retrouvé mort de froid.
Initiatives et controverses
La culture catholique dont la région est imprégnée explique sans doute plus la bienveillance envers le dispositif que la découverte, si tragique soit-elle, du corps d'un nouveau-né sur les bords du lac de Sihl, en 1999. Des crucifix ornent ça et là les murs de l'établissement, dont les médecins ne pratiquent pas l'avortement. En 2007, la Babyfenster était d'ailleurs l'un des thèmes de l'assemblée générale des médecins catholiques de Suisse, réunis à l'abbaye d'Einsiedeln. Le bébé de janvier vient relancer la controverse sur le bien-fondé de ce dispositif, à la limite de la légalité puisque la Constitution interdit l'accouchement anonyme.
«C'est vrai, mais c'est un moindre mal, plaide le directeur de l'hôpital, le docteur Meinrad Lienert. Il ne s'agit que d'une solution partielle à un problème de société. Nos patientes n'ont pas non plus le droit d'accoucher anonymement.»
En septembre dernier, le National refusait de donner suite à deux initiatives parlementaires, notamment d'une socialiste d'Einsiedeln, visant à autoriser l'accouchement anonyme et ce afin que le droit aux origines continue à être garanti pour l'enfant. Un échec pour la fondation Aide suisse pour la mère et l'enfant (ASME), initiatrice de la «boîte à bébés». «Le fait qu'une mère ne déclare pas la naissance à l'état civil transgresse la loi sur les enregistrements, reconnaît Dominik Müller, président de la fondation. Cependant nous avons eu, jusqu'à présent, de bonnes expériences. En général, la mère s'est annoncée, et aucune amende n'a été retenue pour transgression de la loi», précise-t-il. Dans un cas, les parents ont repris leur enfant.
Reconnue d'utilité publique, la fondation ASME, qui vise à aider femmes ou couples «sombrant dans la détresse à cause d'une grossesse ou d'une naissance» a répondu en 2009 à quelque 1500 demandes par une assistance matérielle, financière et juridique. Elle collabore également avec des services d'adoption privés. Elle-même controversée, elle est née de l'association Mamma, qui milite clairement contre l'avortement. Depuis Bâle, cette dernière, qui avait lutté en vain contre l'initiative parlementaire sur le régime des délais en 1992, soutient l'initiative «Financer l'avortement est une affaire privée» lancée le 26 janvier dernier. Le docteur Lienert, lui, refuse d'entrer dans la polémique. «Je ne vois pas la fenêtre à bébés comme une alternative à l'avortement. C'est simplement une réponse à une situation extrême.»
Les mères écrivent à leur enfant abandonné
Derrière l'abandon se cache l'immense souffrance de ces mères qui ont décidé de se séparer de leur enfant. C'est ce que montre des lettres déposées avec les nouveau-nés dans la fenêtre à bébés de Lübeck, dans le nord de l'Allemagne, et récemment publiées sous leur forme manuscrite par le magazine alémanique Das Magazin.
«Chère Felicitas (...) Les heures passées avec toi ont été les plus belles de ma vie», a écrit l'une.
Une autre: «Cela nous brise le coeur (...) s'il vous plaît occupez-vous bien de lui, il le mérite. (...) S'il vous plaît, gardez la lettre et montrez-la lui quand il sera assez grand, qu'il sache qu'il ne nous était et ne nous est pas égal!»,
Une troisième: «Je n'ai rien accompli de bien dans ma vie à part ton frère et toi. (...) J'ai vraiment eu du mal à prendre la décision, tu dois me croire. Surtout quand je te compare à ton frère. Vous vous ressemblez beaucoup. (...) Tous ces mots me semblent si vides, mais je ne peux tout simplement pas exprimer ce que je ressens (...) J'espère que tu auras une vie heureuse et belle (...) et que tu me pardonneras un jour.»
Un passé qui remonte au Moyen Age
La «fenêtre à bébés» est la version contemporaine du «tour d'abandon». Répandu en Europe au Moyen Age, il se voulait une alternative aux avortements prohibés par l'Eglise catholique et aux infanticides. En France, Saint-Vincent-de-Paul fera construire le premier à Paris en 1638. Le tour, généralement un cylindre coulissant proche des églises, tombe en désuétude vers la fin du XIXe siècle, avant de réapparaître sous sa forme moderne vers la fin des années 1990, en Allemagne notamment ainsi qu'en Autriche, en Belgique (depuis 2007), en Lituanie, au Japon...
En Suisse, cinq bébés ont été placés dans la fenêtre à bébés d'Einsiedeln depuis 2001. L'avant-dernier cas remonte à août 2008.
L'Allemagne, où la première Babyfenster a été installée en 2000 dans la région de Hambourg, en compte désormais près d'une centaine.
A fin 2009, 209 bébés au total avaient été abandonnés par ce biais, avec une augmentation présumée l'année dernière.
En novembre dernier, le Conseil de l'éthique allemand a demandé la fermeture de ces boîtes à bébés.
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