Adoption, toujours le grand flou
Adoption, toujours le grand flou
Publié le samedi 19 février 2011 à 01H00
Toutes les tentatives de donner un cadre à l’adoption en Polynésie ont échoué. La pratique du don d’enfant entre familles polynésiennes et métropolitaines se poursuit sans structure, ni accompagnement. Au grand dam de toutes les parties prenantes.
Marielle et Olivier Chautard, en compagnie de leurs trois enfants Poerani, Hinanui et Vaea. “Nous avons les deux situations : adoption simple et plénière” explique le couple. “Les mamans ont choisi. Elles ont choisi plénière pour protéger les enfants d’un père biologique avec lequel il fallait couper le lien juridique. Cela ne nous pose aucun problème.”
ADELINE BRISSET
“Depuis des années, nous demandons des moyens juridiques pour mieux encadrer l’adoption et pouvoir suivre le devenir des enfants,” plaident Diane Wong Chou, directrice du service de Protection de l’enfance et Valérie Hong Kiou, assistante sociale en charge de l’adoption. Dans son rapport de 2009 aux Nations Unies, la défenseur des enfants, Dominique Versini recommandait “des dispositions plus protectrices concernant l’adoption en Polynésie française”. Depuis, rien. “Le statu quo actuel laisse l’enfant adopté dans une précarité dommageable”, regrette le correspondant en Polynésie du défenseur des enfants, Henri Cornette de Saint Cyr.
“Du fait du manque de texte quant à la gestion de l’adoption, les gens peuvent prospecter comme ils veulent. Ils peuvent faire du porte-à-porte. Cela ne devrait pas être permis”, estime Diane Wong Chou. Ici, pas d’orphelinat où aller rencontrer des bébés. Les couples en recherche ne savent trop où s’adresser. Ils louent une voiture et partent à l’aventure dans l’espoir de rencontrer une famille susceptible de donner. Les méthodes varient : petites annonces dans les cabinets de sage-femme, distribution de cartes au marché ou dans les rues, mise en relation par des contacts communs. “Il n’y a aucune structure pour accueillir les parents qui débarquent”, regrette une représentante de l’association Maeva qui rassemble les parents adoptants. “Il y a une différence entre faire du démarchage et faire connaître son souhait d’avoir un enfant”, estime le juge aux affaires familiales, Marc Meunier. Une enquête des services de police et des Affaires sociales permet de comprendre comment s’est faite la mise en relation entre les parents. Il s’agit de s’assurer qu’il n’y a pas eu de transaction financière. “Nous rencontrons les familles biologiques et les familles adoptantes afin d’établir les motivations de chacune des parties”, complète Valérie Hong Kiou.
Les parents adoptants venus de métropole repartent avec l’enfant qui leur a été confié, munis d’une délégation d’autorité parentale (DAP) en vue de l’adoption établie par le juge aux affaires familiales. Ce n’est qu’aux deux ans de l’enfant que le consentement à l’adoption sera recueilli auprès des parents biologiques. “C’est insécurisant pour les familles adoptives. Et pour les familles biologiques, ce n’est pas simple d’avoir à repenser à cette décision”, constate Véronique Ho-Wan, psychologue qui a longtemps travaillé à la cellule adoption de la direction des Affaires sociales. “La pratique de la DAP est un contournement de la loi, explique le juge des affaires familiales, Marc Meunier. Dans le code civil, il est indiqué que l’enfant doit avoir au moins deux ans pour l’adoption. Mais on sait que le succès d’une adoption se fait au plus près de la naissance.” Selon l’article 348-5 du code civil, pour adopter des enfants de moins de deux ans, il faut un abandon, une pratique impensable en Polynésie, poursuit le magistrat. Le principe de réalité s’impose, mais, reste soumis au bon vouloir du juge aux affaires familiales.
Marie-Noël Charles-Campogna est maître de conférences du droit de la famille à l’Université de la Polynésie française. Elle avait participé en 2006 à un colloque de l’association des juristes de Polynésie française sur l’adoption et regrette le peu d’évolution de ce dossier depuis. Il avait été suggéré alors que le Territoire adopte son code de l’action sociale et de la famille. “Son contenu rédigé par des Polynésiens pour la protection des enfants polynésiens permettrait qu’il soit tenu compte des principes fondamentaux qui ont toujours présidé dans la tradition de l’adoption en Polynésie”, écrivait-elle. Il s’agirait d’éviter l’application pure et simple du statut de pupilles de la Nation qui implique l’abandon et semble très loin de la conception du don de l’enfant. “Il est inconcevable ici de ne pas connaître la famille adoptive”, précise Marie-Noël Charles-Campogna. Un lien de respect et de confiance doit s’établir entre les protagonistes. Il faudrait également raccourcit le délai de deux ans avant de recueillir le consentement à l’adoption.
L’aide sociale à l’enfance pourrait dans ce cadre se voir confier un rôle plus important. “C’est important qu’un tiers puisse intervenir entre les familles adoptantes et les familles biologiques, estime Véronique Ho-Wan. Le face-à-face n’est pas simple.” Quand les choses se passent mal, chacun est face à sa détresse. “Nous ne sommes pas du tout entourés, soutenus, encadrés. Les mamans sont en droit de changer d’avis, elles ne sont pas non plus accompagnées”, déplore la représentante de l’association Maeva. “Nous pourrions mettre en place un conseil de famille et des commissions d’agrément, nous serions à même d’assurer un suivi des enfants qui partent, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui”, indique Diane Wong Chou.
De nombreux pays se ferment à l’adoption internationale, ce qui pourrait entraîner un regain d’intérêt pour la Polynésie. En 2010, le tribunal a enregistré une hausse des demandes de DAP en vue de l’adoption. Peut-être l’occasion de relancer la réflexion sur le dispositif et ainsi éviter des dérapages avant qu’ils ne surviennent.