Adoption en Éthiopie: «C'est comme si on achetait nos bébés»

15 January 2011

Publié le 15 janvier 2011 à 05h00 | Mis à jour le 15 janvier 2011 à 11h01

Adoption en Éthiopie: «C'est comme si on achetait nos bébés»

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Tous les enfants qui arrivent à l'orphelinat sont testés pour le VIH.

PHOTO: ÉMILIE CÔTÉ, LA PRESSE

Émilie Côté

La Presse

(Addis-Abeba, Éthiopie) En 2009, l'Éthiopie était, après la Chine, le pays d'où provenaient le plus d'enfants adoptés aux États-Unis. Même si beaucoup d'enfants sont abandonnés dans la rue ou sont orphelins à cause des ravages du sida, l'adoption internationale est très mal vue par les Éthiopiens. C'est ce qu'a constaté notre journaliste Émilie Côté, qui a passé près de trois semaines comme bénévole à l'orphelinat Enat Alem, à Addis-Abeba, la capitale. Compte rendu de son expérience.

À 9 ans, Tsegenet est l'aînée des petits pensionnaires de l'orphelinat Enat Alem, à Addis-Abeba. Elle devrait être dans un établissement pour enfants plus âgés, mais la loi éthiopienne interdit qu'elle soit séparée de ses deux soeurs, Mikeret et Dagemawit, des jumelles âgées de 1 an.

Les trois fillettes ne sont pas encore orphelines. «Leur mère se meurt du sida», indique Fitsum Dessalgne, le coordonnateur de l'orphelinat. Beaucoup d'enfants éthiopiens sont sans parents à cause du sida. D'autres, nés à la suite d'un viol, ont été abandonnés dans la rue et trouvés par des policiers. La petite Yordanos, que tout le monde appelle Yordi, avait 7 jours quand elle est arrivée à l'orphelinat, le cordon ombilical toujours rattaché au ventre.

Parmi la trentaine d'enfants de l'orphelinat, il y a Abel et Getnet, deux petits garçons qui ont beaucoup d'appétit, de même que Hana, qui dort la tête appuyée sur un album de photos de ses futurs parents suisses.

Quant au personnel, il compte 3 infirmières, 17 gardiennes, 2 cuisinières, 3 femmes de ménage, 1 coordonnateur et 1 gardien. Tous prennent soin des enfants avec amour et affection.

L'orphelinat Enat Alem relève d'une ONG locale. «Par rapport aux orphelinats publics, c'est plus propre, les enfants mangent mieux et leur santé est mieux prise en charge. Dans les orphelinats publics, des enfants meurent chaque semaine et il y a un manque criant de personnel», explique Fitsum.

Le coordonnateur a un salaire de misère. Ne lui rappelez pas que le processus d'adoption coûte une fortune aux parents occidentaux. «Presque 99% de l'argent va aux agences. C'est injuste, dénonce-t-il. La seule chose que nous avons, c'est de l'argent pour la nourriture et les médicaments.»

Son ONG vit de dons. «C'est de plus en plus difficile, car le gouvernement éthiopien veut que les dons viennent d'ici», indique le directeur de l'ONG, Aderagew Zewal.

Un mal nécessaire

Par cette belle journée ensoleillée de printemps, un couple de parents italo-suisses sont venus chercher leur nouvelle petite fille, Yidmekachen. Pour eux, c'est un grand jour de bonheur. Mais tous les employés de l'orphelinat ont une figure d'enterrement.

La scène est déchirante. L'une des infirmières ne peut s'empêcher de leur prendre le bébé des bras en replaçant le foulard de l'Éthiopie qui lui entoure le cou. Toutes les gardiennes pleurent. Elles veulent toutes être prises en photo avec la fillette. Vue de l'extérieur, la scène suscite un grand malaise.

«Je pleure chaque fois qu'un enfant part. C'est comme si on achetait nos bébés, confie Metasabia, l'infirmière-chef de l'orphelinat. C'est dur, car on s'attache aux enfants... L'adoption est notre dernier choix, mais l'argent nous permet d'aider d'autres enfants et nous savons que ceux qui sont adoptés seront saufs.»

En 2009, l'Éthiopie était, après la Chine, le pays d'où provenaient le plus d'enfants adoptés aux États-Unis (2275 bébés). Tous les jours, à l'aéroport d'Addis-Abeba, des dizaines de parents occidentaux repartent avec de petits Éthiopiens. Mais l'adoption internationale est très mal vue en Éthiopie, à la fois par le gouvernement et la population en général.

«Nous avons peur que les enfants perdent leur culture éthiopienne. Mais le gouvernement ne peut pas payer pour leur éducation et leur entretien», explique Fitsum.

Le grand paradoxe

Si toutes les femmes de l'orphelinat voient d'un mauvais oeil «les étrangers qui achètent leurs bébés», plusieurs ont donné leur propre nouveau-né en adoption.

Bontce, l'une des femmes qui lavent la vaisselle à l'orphelinat Enat Alem, a donné naissance à deux enfants qui vivent aujourd'hui aux États-Unis. «Je veux parler en anglais pour le moment où mes enfants reviendront en Éthiopie», dit-elle.

Pourquoi s'est-elle séparée de ses enfants? «Les hommes de l'Éthiopie ne sont pas de bons garçons. Ils vous disent qu'ils vous aiment, qu'ils pourraient mourir pour vous, mais quand vous tombez enceinte, ils s'en vont et disent que Dieu prendra soin du bébé», répond celle qui ne sait ni lire ni écrire.

«Je suis allée en Allemagne et au Danemark pour voir des parents adoptifs, et j'ai été content de ce que j'ai vu», indique Aderagew Zewal, le directeur de l'ONG responsable de l'orphelinat Enat Alem. Mais son plus grand rêve est de posséder une grande maison où les orphelins pourraient vivre jusqu'à l'âge adulte.

Pour l'instant, l'ONG n'est que locataire des immeubles de ses orphelinats. À chaque renouvellement des baux, le directeur craint une hausse des loyers sous des menaces d'expulsion.

Quand des enfants partent pour une nouvelle vie en Occident, les larmes sèchent rapidement et la vie reprend son cours à l'orphelinat Enat Alem. C'est un départ parmi tant d'autres. En attendant leur tour, les petits qui restent à l'orphelinat n'ont pas une, mais tout plein de mamans qui les couvrent d'amour.