CIAI: Des règles nécessaires, mais pas suffisantes
Résumé
De l’autre côté des Alpes, une ONG de défense des droits des enfants s’est également investie dans l’adoption internationale. La responsable de ce secteur au sein de l’association nous en explique les particularités et dessine en creux les différences avec la situation française.
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1De l’autre côté des Alpes, une ONG de défense des droits des enfants s’est également investie dans l’adoption internationale. La responsable de ce secteur au sein de l’association nous en explique les particularités et dessine en creux les différences avec la situation française.
2En Italie, l’adoption internationale a été introduite à la fin des années 1960 et a aussitôt connu un développementcroissant. Cette pratique, bien acceptée culturellement et vécue par plusieurs milliers de couples désireux d’avoir un enfant, est très vite devenue une alternative valable à une fécondité qui, du moins dans les pays industrialisés, montre des signes d’affaiblissement.
Des règles nécessaires, mais pas suffisantes
3L’introduction de l’adoption internationale dans le paysage italien a malheureusement ouvert la voie à de véritables « années noires » avec des procédures largement « incontrôlées ». En 1998, la loi ratifiant la convention de La Haye a finalement réformé le système des adoptions internationales en Italie. Elle a introduit des règles plus explicites sur les critères et les procédures, les mécanismes de contrôle et le fonctionnement des organisations concernées. Ces règles partagées sur le plan international et transparentes étaient censées répondre à une situation déstructurée, source potentielle d’improvisations, voire d’abus. Parce qu’elles sont précises et contraignantes, elles offraient ? du moins sur le papier ? la garantie d’un recours à une adoption dans le seul intérêt du mineur et dans le respect du principe de subsidiarité.
4L’adoption internationale ne doit en effet être envisagée qu’en dernier ressort. Unique en Europe, la législation italienne a permis de rapprocher les organismes pratiquant l’adoption internationale. Mais elle a aussi permis de mettre en œuvre une politique de coopération avec les institutions locales des pays d’origine appuyant des interventions de tutelle des mineurs et de soutien aux familles, à la communauté en général, et contribuant donc à la prévention des abandons. Malgré tout, la loi de 1998 n’a pas suffit à encadrer le domaine de l’adoption. Loin de là.
Trop d’organismes agréés ?
5L’instauration d’une Autorité centrale italienne a donné naissance à de nouvelles méthodes. Le cœur en est l’obligation pour les couples souhaitant adopter de s’en remettre à l’intermédiation d’un organisme agréé. Le nombre d’organismes agréés (environ 70) a été critiqué comme excessif, eu égard à la population italienne et à l’étendue du territoire. Certes la présence importante d’organismes agréés a offert aux couples un large éventail pour identifier l’organisme le plus proche, tant d’un point de vue géographique que de celui de leur vision de l’adoption et de leurs attentes. Mais cette offre élargie a fini par causer des problèmes de « concurrence » entre organismes italiens mais également avec les organisations des autre pays dans les différents territoires : cette hétérogénéité des organismes et le manque de coordination a impacté les choix des interventions à effectuer dans les divers contextes.
6L’autorité centrale a eu les plus grandes difficultés à jouer son rôle d’orientation, de coordination et de contrôle. En réalité, les organisations italiennes pressées par les familles désireuses d’adopter ont mené des actions percutantes (certaines d’entre elles pourraient être qualifiées d’agressives) dans certains pays d’origine. Et de fait, elles ont obtenu, d’un point de vue numérique, des résultats considérables, réussissant à devenir, derrière les États-Unis, le deuxième pays au monde en nombre d’adoptions internationales effectuées, avec une moyenne de plus de 4 000 entrées par an ces dernières années.
Marche arrière des pays d’origine
7Durant ces années marquées par un certain dévoiement, confinant en matière d’adoption internationale à un véritable « marché libre », les nombreux pays d’origine de mineurs ont peu à peu adhéré à la Convention de La Haye de 1993. On a alors observé une lente et inexorable inversion de tendance conduisant à la diminution progressive du nombre d’enfants disponibles pour l’adoption internationale. Provoquée en grande partie par l’observance des règles de la Convention, cette inversion de tendance a peut-être été aussi causée par une réaction de défense de ces pays au véritable « assaut » qu’ils subissaient depuis des années.
8Des pays comme l’Inde, la Colombie ou encore le Brésil ont, grâce notamment aux interventions de coopération des organisations internationales, développé des politiques favorisant la tutelle des enfants et des mesures alternatives à l’adoption internationale, trop longtemps conçue comme la panacée.
L’adoption internationale aujourd’hui : une inversion de tendance ?
9L’Association italienne d’aide aux enfants (CIAI, Centro Italiano Aiuti all’Infanzia)est un organisme ancien qui a été le premier à réaliser des adoptions internationales à partir de 1968. En 2011, elle a enregistré une baisse de presque 30 % des prises de renseignement de couples et pour les activités de formation se déroulant avant l’attribution du dossier. Cette simple donnée tendrait à confirmer l’hypothèse selon laquelle, aujourd’hui, moins de couples entreprennent les démarches pour passer du désir d’adoption à sa réalisation.
10De multiples raisons peuvent expliquer cette inversion de tendance dans le contexte italien. D’abord, la crise et la précarité, qui ont frappé le pays un peu plus encore que d’autres pays européens, on pu avoir des conséquences dans le projet familial de beaucoupde personnes, l’adoption se révélant une procédure relativement conséquente d’un point de vue économique.
11Ensuite, des phénomènes croissants de discrimination et des problématiques sociales qui y sont liées (intolérance, difficultés du « vivre ensemble », marginalisation, etc.) peuvent amener certains couples à redouter l’intégration d’un enfant adopté, par crainte qu’il soit assimilé à un enfant d’immigrés.
12Par ailleurs, les procédures longues et complexes, soumises à une forte bureaucratie inquiètent et découragent les familles. Il est en effet très difficile pour elles de maintenir intacte durant plusieurs années leur motivation. Ces dix dernières années, le temps d’attente pour l’adoption d’enfants en Italie varie de trois à cinq ans pour des couples désirant adopter un mineur en âge préscolaire et en bonne santé, sans garantie d’une conclusion positive. Les difficultés qu’ont les familles à s’orienter dans la multitude d’organismes agréés et de pays aux législations et aux critères parfois différents n’arrangent pas les choses.
13Enfin, les enfants désormais disponibles à l’adoption sont de plus en plus âgés ou présentent des situations problématiques. Les pays d’origine, qui diminuent le nombre d’enfants disponibles à l’adoption, ne cachent pas aux couples que les possibilités de réaliser un projet familial « normal » (c’est-à-dire, avec un enfant en bas âge et en bonne santé) se réduisent. La distance se crée ainsi dans l’esprit des couples entre l’enfant idéal qu’ils se sont dessinés et l’enfant réel qui se profile. Ainsi, de fait, pour l’année 2011, le CIAI a estimé à plus ou moins 60 % la part des enfants à besoins spécifiques proposés à l’adoption. L’adoption internationale n’est donc plus vue comme un simple moyen d’avoir un enfant qu’on ne peut avoir « naturellement » ou de donner à cet enfant la famille qu’il n’a plus, mais comme une expérience compliquée qui demandera de la disponibilité, des ressources et un engagement, le tout à mettre en balance avec un risque majeur d’échec.
Quel avenir pour l’adoption internationale ?
14Bien qu’il soit toujours difficile de se projeter dans une perspective d’avenir, le présent nous impose déjà des réflexions. D’abord, la réduction du nombre de couples postulants ne représente pas forcément un élément négatif. Au contraire, les services et les organisations agréés ? ayant moins de demandes à traiter et venant de candidats plus motivés et conscients de cette nouvelle réalité ? sont d’une certaine manière dans de meilleures conditions pour travailler. Le profil changeant des enfants impose néanmoins de mettre au point de nouveaux instruments d’évaluation et de préparation plus efficaces pour les familles. Mais une formation de qualité ne suffit pas et les futurs parents devront démontrer qu’ils possèdent des ressources économiques viables. Il est donc plus que jamais important de travailler sérieusement et de manière différente, sans devoir subir, comme cela a été le cas auparavant, la pression dictée par les attentes, l’anxiété et la frustration des trop nombreux couples en mal d’enfants.
15Concernant ces enfants, précisément, l’évolution de leur profil soulève également des questions. Si tous les enfants, y compris ceux déjà grands ou souffrant de pathologies lourdes, ont droit à une famille, il est évident que l’adoption d’un enfant à besoins spécifiques représente un investissement lourd pour la société entière, et pas seulement pour les familles. Le pourcentage conséquent – près de 60 % ? des enfants proposés à l’adoption internationale et accueillis aujourd’hui en Italie a entre 6 et 11 ans, est atteint de pathologies physiques et/ou de souffrances psychiques liées à de la négligence, à des expériences traumatisantes ou des formes d’abus. Les statistiques de fratries sont également représentatives puisqu’on rencontre fréquemment entre trois et cinq frères d’âges différents et présentant des problèmes et des besoins multiples. Pouvons-nous affirmer de manière sûre que l’adoption internationale réponde à l’intérêt de ces enfants aux attentions particulières ? En particulier en ce qui concerne les enfants en âge scolaire ou à la préadolescence, beaucoup de questions restent sans réponse, notamment sur les possibilités d’une intégration sociale et familiale positive, sur la construction d’un vrai lien d’attachement avec les parents adoptifs, sur la réussite à l’école et au travail, sur le rapport avec leur propre histoire, leurs souvenirs, et sur les parents biologiques qu’ils laissent derrière eux...
16Prenant acte de situations de plus en plus complexes, le CIAI, fort de 45 ans d’expérience, propose d’activer une série d’actions protectrices à l’attention des enfants et des familles. Il s’agit d’abord de bien évaluer avec l’autorité compétente du pays de provenance la décision d’envoyer ou non un enfant en adoption à l’étranger. Il faudrait ainsi faire entrer en ligne de compte des réflexions relatives à la sphère psychologique et émotive du mineur, comme par exemple la conscience qu’a l’enfant de son histoire et des circonstances qui ont conduit à son abandon et à sa possible adoption. S’il n’est pas en âge de décider, l’enfant de plus de 5 ans devrait du moins pouvoir exprimer son avis personnel et sa volonté par rapport au projet d’adoption qui se crée autour de lui.
17Il est ensuite indispensable de fournir aux familles postulantes tous les éléments qui leur sont nécessaires concernant les besoins de l’enfant. C’est seulement en ayant en mains ces informations précises et vérifiées que le couple pourra décider en toute connaissance de cause. A cet égard, l’assurance pour ces parents de pouvoir compter sur des avantages d’ordre économique et sur un réseau de services d’aide efficaces et compétents pourra déterminer le choix de se mettre ou non à la disposition de mineurs qui présentent des difficultés spécifiques.
18L’assistance du couple avant et après l’adoption est essentielle. Lorsqu’il se rend à l’étranger pour prendre en charge l’enfant, le couple n’a pas seulement besoin d’un soutien logistique, il a aussi besoin d’un soutien de la part du personnel spécialisé qui l’aide dans les inévitables moments de difficultés. L’expérience nous a appris que les tous premiers jours sont particulièrement éreintants et constituent la véritable épreuve pour le couple et l’enfant. A ce stade, la présence attentive de l’opérateur peut éviter une situation d’échec. Mais le soutien à la famille ne doit pas s’interrompre après l’arrivée de l’enfant : les services sociaux territoriaux et ceux de l’organisation doivent garantir au couple un soutien constant à toutes les phases de croissance de l’enfant.
19L’avenir de l’adoption internationale fera donc face à de multiples complexités. Afin que cette formidable expérience familiale et humaine puisse rester une chance pour les nombreux enfants isolés de ce monde, il faudrait : des campagnes de promotion et des programmes de recherche nationaux et internationaux quant à l’issue des adoptions ; des investissements et des soutiens économiques adéquats pour les familles, les organisations qui rendent possible la réalisation du projet d’adoption et pour les services sociaux préposés à l’accompagnement des couples ; un réseau de collaboration entre les organisations internationales afin de mettre en commun les connaissances, les normes, les bonnes pratiques, les parcours périlleux, les recherches ; une collaboration avec les pays de provenance selon une approche d’égal à égal et collaborative ; des interventions pour qu’aucun enfant ne reste en institution trop longtemps ; améliorer les formations des personnels des services et organisations concernés.
20En conclusion, nous rappelons que l’adoption internationale doit être envisagée comme le dernier recours lorsque le mineur se retrouve dépourvu de toute famille et après que l’intégration ou la réinsertion de l’enfant au sein de sa communauté a échoué. Bien que ce principe ait été répété pendant de nombreuses années, il n’a pas été entièrement respecté dans les faits. Si l’adoption internationale reste une issue possible pour une minorité d’enfants, il faut prendre soin de renforcer la capacité des pays d’accueil à soutenir les familles afin qu’elles affrontent cette belle mais lourde tâche.
Pour citer cet article
Référence électronique
Graziella Teti , « Centro Italiano Aiuti all’Infanzia : l’expérience d’une ONG italienne agréée pour l’adoption internationale », Humanitaire [En ligne], 31 | 2012, mis en ligne le 26 avril 2012, Consulté le 04 novembre 2012. URL : http://humanitaire.revues.org/index1218.html
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