Les enfants Gosseries: une adoption manquée, un retour difficile
Les enfants Gosseries: une adoption manquée, un retour difficile
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Alain Lallemand
Journaliste au service Culture
Par Alain Lallemand
Publié le 28/03/1998 à 00:00 Temps de lecture: 14 min
Trafic d'enfants entre Bujumbura et Bruxelles ( II ) LE PIRE RESTE ENCORE À DÉCOUVRIR BUJUMBURA La Documentation nationale burundaise, service de renseignement civil, n'enquête pas exclusivement sur les filières d'adoption que nous dénoncions hier, mais aussi sur des dossiers bien plus complexes.
Ainsi, le home burundais «Les Erythrines-Muha», du nom de ce cours d'eau qui sépare le quartier de Kinindo du reste de la capitale.
Il concrétise ici, au Burundi, l'idée généreuse - et sincèrement estimable - d'un ancien coopérant belge en Afrique, Georges Célis, qui a réalisé d'autres «Erythrines» au Zaïre (Uvira) et au Rwanda (Kibungo).
Son contact au Burundi était une référence - Pamphile Kagisyé, ancien magistrat assis - et le home a donc livré à la Belgique et à la France quelque 25 enfants.
Puis vinrent de sérieux couacs, qui justifient l'enquête actuelle des autorités burundaises.
Florilège: en mars 1997, dans une optique de générosité tiers-mondiste, un couple belge vient retirer de l'«enfer burundais» deux enfants orphelins.
En réalité, il s'avère que ces enfants, formellement adoptables mais recueillis par un oncle ex-ministre et fortuné, sont habitués à un train de vie bien supérieur à ce que le couple belge pourra jamais leur offrir... Les enfants n'ont jamais été hébergés au home «Les Erythrines», bien que des sommes conséquentes (selon les standards burundais) aient été versées pour entretien des enfants. La photo transmise aux parents adoptants n'était qu'une mise en scène, mais dont la responsabilité n'est pas clairement attribuable. LE BOURBIER TOTAL: AMUNAZO Puis il y eut cet autre cas: une orpheline promise à l'adoption et qui soudain a retrouvé sa mère, lors d'une hospitalisation.
Ils étaient deux enfants , se souvient M.
Kagisyé.
Ils ont reconnu leur mère à l'hôpital, et les bonnes soeurs nous ont prévenus.
Je ne pouvais décemment pas continuer le processus d'adoption.
On le comprend.
Mais le dossier d'enquête sociale était-il bien sérieux?
Il y eut ensuite le scandale des parents Gosseries (voir notre encadré), qui iront jusqu'à restituer d'initiative leurs enfants adoptifs aux parents biologiques que les «Erythrines» n'avaient pas su déceler.
Il y eut enfin un bourbier total, sublime gâchis: celui de la petite Amunazo, originaire du Congo (Zaïre), et venue dans des conditions contestées du home «Les Erythrines-Rusizi» situé de l'autre côté du lac Tanganyika, en territoire congolais.
Atteinte de polio, elle a besoin d'une intervention médicale lourde, a été légalement adoptée par une première famille belge qui s'en est détournée, puis à nouveau proposée à l'adoption à une seconde famille qui se bat aujourd'hui pour la sortir du Burundi.
La dernière péripétie de ce dossier remonte au mois de novembre, lorsque le père de la seconde famille belge a tenté de quitter le Burundi avec l'enfant: la police des airs, des frontières et des étrangers (PAFE) l'a intercepté, et Amunazo est revenue à la case départ.
Documents insuffisants?
Célis accuse aujourd'hui Kagysié d'avoir torpillé le dossier, et ce dernier se tait.
Cerise sur le gâteau: les parents biologiques de l'enfant se sont finalement manifestés, au départ d'un camp de réfugiés de la Croix-Rouge installé au Congo!
Depuis, la Communauté française, les Affaires étrangères, le délégué général aux droits de l'enfant et l'Office des étrangers tentent d'échafauder une solution pour que cet enfant puisse gagner la Belgique dans un cadre qui ne soit pas celui de l'adoption.
Une solution humanitaire?
Ce n'est pas impossible, mais il semble que l'adoption, elle, soit hors de portée.
Que s'est-il passé aux «Erythrines» - nous avons aujourd'hui la conviction que leurs responsables ne voulaient pas se compromettre dans des trafics - pour accumuler une telle série de ratages?
L'ancienne directrice du home, Mm e Chantal R., se tait et cache ainsi les motifs - peu avouables - de son éviction. L'intermédiaire local, M.
Kagysié, après nous avoir demandé si l'interview serait «gratifiée» (?!), invoque un défaut d'information peu crédible dans le chef d'un ancien magistrat.
M. Célis, lui, attaque tous azimuts au départ de la Belgique mais ne peut nier qu'il a perdu le contrôle réel de son home quand il a quitté l'Afrique.
En outre, une grosse dette achève de creuser le fossé entre les deux hommes.
Aujourd'hui, les onze Congolais qui demeurent encore aux «Erythrines», ainsi qu'une handicapée burundaise, ne doivent plus leur survie alimentaire qu'à l'épouse d'un pasteur travaillant pour une ONG danoise.
Elle a été le vecteur de familles françaises qui souhaitaient aider le home... en vue d'adoptions.
Les rumeurs d'intervention financière de l'ambassade de France ne sont pas fondées, mais cette ambassade est effectivement inquiète dans la mesure où les Congolais pourraient, en un coup de force de parents adoptifs, gagner la France.
On l'aura compris: à l'inverse d'autres dossiers, le problème des «Erythrines-Muha» n'est pas celui d'un trafic volontaire et organisé.
Mais pour les enfants et parents concernés, quelle différence?
LA FILIÈRE PIRATE FLAMANDE Et puis, il y a le plus écoeurant, car ni l'Etat burundais ni l'Etat belge ne sont, dans ces dossiers d'adoption, au bout de leur peine.
Il y a pire encore que les «Erythrines» ou «Adoptions sans frontières», mais plus secret: ne figure pas sur les listes de la Documentation nationale une filière entièrement pirate, et qui existe pourtant. L'ambassade du Burundi à Bruxelles nous avait prévenu: le problème n'est pas tant celui de Célis et consorts que de S.
S., Belge opérant sous couvert d'une association flamande qui n'est plus agréée par la Flandre depuis plus de deux ans.
L'ambassade du Burundi le sait actif à Bujumbura, puisqu'il a eu le culot de demander un visa récemment pour aller «régulariser» sa situation (ce qui était impossible à l'époque de son départ), et s'en inquiète.
Célis a été le premier à dénoncer lui-même ce pirate complet, mais son discrédit est tel en Belgique qu'on ne l'a pas écouté.
C'est une erreur: «SS» n'a ni agrément belge, ni agrément burundais.
Officiellement, les Affaires étrangères ne savent rien de ses activités sur place.
La Documentation nationale n'en pipe mot, bien que des auditions à charge aient visiblement eu lieu à Bujumbura.
Résultat: aujourd'hui, sur huit dossiers flamands bloqués, cinq portent la griffe de son association-paravent.
Des photos d'enfant ont été transmises en Belgique, des versements effectués, et sans doute des enfants ont-ils déjà gagné la Belgique. Mais aujourd'hui, ce réseau de trafic reste une énigme quasi parfaite.
Le Burundi ne traite donc, aujourd'hui, que la pointe de l'iceberg, quoique sans se prononcer, le ministre burundais de la Justice admet effectivement avoir entendu parler de cet «autre problème»... Quant à la Communauté française, la tension belgo-burundaise de ces dernières semaines l'a convaincue de renvoyer une mission de l'ACAI (administration communautaire pour l'adoption internationale) à Bujumbura dès ce mois d'avril.
Nous en prenons acte.
Les jours de ce trafic sont-ils comptés?
La Cour suprême trépigne... Dans ce pays qui regorge d'enfants orphelins réellement adoptables (le home des frères Xaviériens, le home Apecos regroupant 150 enfants de sidéens, etc.), n'y aurait-il pas moyen de réaliser des adoptions convenables?
Aux yeux de nombreux responsables belges, Déogratias Rukandira, intermédiaire au Burundi de l'association belge «Sourires d'enfants», est en tous points un exemple.
Conseiller au ministère de la Justice, ancien directeur de la protection sociale, il a intégré la règle d'or: «Une famille pour un enfant», et non l'inverse.
Il n'offre à l'adoption que des enfants ayant fait l'objet d'une enquête sociale sans équivoque, réalisée par les assistantes sociales officielles, au départ de l'orphelinat de l'Etat ou de la maison des «Soeurs missionnaires de la Charité», agréé par le gouvernement.
Conséquence: en 38 mois d'activité, il n'a proposé à l'adoption internationale que... neuf enfants, trois dossiers supplémentaires étant bloqués de par l'enquête nationale en cours. Sa rigueur lui vaut d'être, au Burundi, la carte maîtresse de la Communauté française et, depuis peu, l'ultime espoir de salut de la Communauté flamande (Kind en Gezin) qui connaît pour sa part huit cas problématiques d'adoption burundaise.
Mais voilà: pour l'heure, même lui ne sortira pas les Belges du bourbier.
Parce que, comme tous les intermédiaires à l'adoption internationale, sans exception, il a temporairement perdu son agrément jusqu'à promulgation d'une nouvelle loi.
Depuis octobre, tout est gelé.
Ensuite, parce qu'il est lui-même dénoncé par les autorités burundaises qui le soupçonnent d'avoir cumulé deux fonctions incompatibles: celle de directeur de la protection sociale et celle d'intermédiaire rémunéré d'une association belge privée.
A ces accusations, il rétorque qu'il était couvert par son ministre de tutelle, et qu'en terme de rémunération, il a perçu en tout et pour tout 400 dollars depuis son entrée en fonction fin 1994.
Ses arguments semblent sérieux, et sa réaffectation récente au ministère de la Justice en est un signe. Le trouble à l'adoption est donc général.
La clé de ce marasme, c'est une loi burundaise lacunaire voire léonine, qui a modifé en avril 1993 le Code de la personne et des familles.
Celui-ci prévoit désormais la possibilité de l'adoption, mais uniquement en termes nationaux.
Il confie ensuite cette matière aux tribunaux de résidence, notoirement incompétents (voire corrompus?), alors que cette matière aurait dû être confiée aux tribunaux supérieurs. Enfin, stricto sensu, il interdisait aux orphelinats de l'Etat de se débarrasser d'enfants en les livrant à l'adoption internationale (ce qui justife un autre reproche formel adressé même à Déogratias Rukandira).
Pour remplacer cette loi, le gouvernement a chargé une commission interne au ministère de la Justice de soumettre un projet de loi au conseil des ministres, ce qui devrait être fait dès ce mois de mars.
Nous avons rencontré l'un de ses membres éminents, Grégoire Muyovu, président de la commission ad hoc et substitut général près la Cour suprême, parquet général de la République. C'est lui qui a rédigé en septembre dernier une note de synthèse sur les dysfonctionnements des adoptions belges au Burundi, prémices à la crise actuelle.
Ce qu'il a à nous dire est juridiquement et philosophiquement limpide, mais ne fera pas plaisir aux parents adoptants belges: avec le nouveau projet, l'adoption internationale deviendra au Burundi l'exception de l'exception.
Un orphelin ou enfant abandonné est pris en charge par l'Etat, et ce n'est qu'en cas de défaillance de l'Etat qu'une adoption nationale pourra être envisagée.
L'adoption internationale sera plus improbable encore, et six mois minimum de placement en institution seront requis avant toute adoption.
En outre, le Burundi ne pourra plus traiter qu'avec des Etats ayant ratifié la convention de La Haye sur l'adoption internationale (dont le Burundi n'est pas encore signataire).
Or la Belgique, si elle a la volonté de ratifier ce texte, est encore loin, juridiquement et administrativement, de pouvoir s'y plier. Bref, même lorsque le Burundi rouvrira parcimonieusement les vannes de l'adoption internationale, la Belgique, elle, ne sera sans doute pas prête.
Enfin, le nouveau texte, qui distingue adoption simple, plénière et adoption internationale, dote le Burundi d'un organe de centralisation - l'administration de la protection sociale -, point de passage obligé pour toute adoption.
Nous avons laissé M.
Muyovu sur le seuil du Palais de Justice avec une conviction très nette: les grands dossiers judiciaires liés aux troubles burundais - procès des poseurs de mines, procès hypothétique de l'ex-dictateur Jean-Baptiste Bagaza - se résorbent, et laissent aujourd'hui les mains libres au parquet général.
Les dossiers d'adoption, pour l'heure à l'information, seraient mis à l'instruction avec un réel plaisir... ... et le gouvernement va sévir Bien qu'il puisse paraître extrêmement décontracté, le ministre burundais de la Justice Thérence Sinunguruza n'en pèse pas moins ses mots lorsqu'il nous reçoit dans son cabinet: L'information en cours sur les adoptions est menée par mes services de renseignements, disons par une branche de la Documentation nationale qui s'occupe des dossiers liés à la justice.
Nous suspections quelque chose: il y avait un engouement réel pour l'adoption internationale, et des gens qui, à l'époque, étaient des «va-nu-pieds» se déplaçaient trois ou quatre mois plus tard dans de belles voitures, sans que l'on sache trop comment.
Ces personnes avaient profité de la crise pour user de la législation burundaise et saisir les tribunaux de résidence [de dossiers d'adoption].
Mais les tribunaux de résidence ne sont compétents que pour l'adoption au Burundi.
Et l'adoption internationale n'est pas bien réglée... Est-ce à dire que tous les jugements d'adoption rendus devant un tribunal de résidence sont frappés de nullité?
Non, malheureusement.
Ils ne sont pas frappés de nullité.
Ce que je dis, c'est que tous ces jugements sont irréguliers.
Parce que les tribunaux de résidence sont compétents, aux yeux du Code de la famille burundais, pour juger uniquement les cas d'adoption simple et nationale.
La loi qui a été utilisée n'est pas appropriée à l'adoption internationale, et les jugements comportent donc des irrégularités.
Mais de là à dire que ces jugements sont nuls... nous n'avons pas encore franchi ce cap.
Maintenant, nous avons décidé de tout suspendre pour mettre de l'ordre.
Mais on a vu, malgré cette suspension, des associations d'adoption internationale passer outre et continuer à initier des procédures.
Parfois on promet à des étrangers - à tort - que ces dossiers vont se débloquer.
C'est un mensonge.
Certains étrangers, parfois de bonne foi, continuent à nourrir les enfants dans les maisons d'accueil parce qu'ils se disent que ce sont leurs propres enfants... Cela a été un dossier difficile à gérer.
Nous avons vu sur le terrain des cas crapuleux, où des parents ont été dessaisis de leurs enfants sur base de quiproquos.
Est-ce que l'Etat burundais à l'intention de poursuivre les intermédiaires belges et burundais qui ont commis ces opérations?
Absolument.
Mais la crise étant ce qu'elle est, des Burundais n'ont plus le courage de dénoncer certains comportements, même malveillants ou macabres, notamment cette affaire de trafic d'enfants.
Avec la crise, il y a eu du terrorisme: Si vous me dénoncez, ce n'est pas une affaire de sous, c'est une affaire d'armes.
Je vais vous abattre.
Les gens préfèrent garder le silence.
Alors, nous cherchons à contourner cela, à trouver nos propres informations, quitte à mettre les gens devant le fait accompli.
Un exemple sur lequel je travaille personnellement, en attendant de transmettre le cas au procureur: deux parents, dont l'un est un chauffeur... ... chauffeur des soeurs de Ngozi (voir notre édition précédente)! (Rires.) Sur les documents, ils ont dit: les parents sont décédés!
Est intervenu dans ce dossier Adoptions sans frontières... Dans ce dossier, un administrateur de zone a fourni à une personne vivante sa propre attestation de décès... Je n'ai pas encore vu ce document, ce serait même grave.
Si j'avais dans mes mains cette attestation, je déciderais le même jour l'arrestation de cet homme.
C'est un faux en écritures publiques, délivré par une autorité, ce qui est une circonstance aggravante.
Je sais, et c'est ma conviction totale, que toutes les personnes qui opèrent dans les adoptions internationales - et surtout les Burundais - suivent des intérêts égoïstes.
Cela n'est pas dicté par l'intérêt des enfants.
Ma préoccupation, et je suis ferme: si je parvenais à mettre la main sur les gens qui profitent de la crise pour faire du trafic d'enfants ou pour commettre des irrégularités à caractère pénal, je ne vais pas reculer, je vais les faire traduire en justice.
Mais nous manquons encore d'éléments.
La télévision burundaise, à laquelle vous avez accordé un entretien, fait état de possibilité de trafic via les filières pédophiles et de trafic d'organe.
Nous n'avons rien trouvé de semblable.
Avez-vous des éléments d'information particuliers?
La seule information que nous avons jusqu'ici est celle-ci: il existe des enfants prostitués en Belgique.
Nous enquêtons sur deux cas: j'ai essayé d'envoyer quelqu'un sur place, mais ca n'a pas marché.
Il s'agit d'une fille de 17ans, qui serait là comme «échantillon» de la race noire.
Partie par une filière d'adoption?
Oui, oui.
Dans les années... 1995.
J'ai payé quelqu'un pour essayer de retrouver cette fille, mais il ne l'a pas retrouvée.
Ou il n'a pas eu le courage.
Il a essayé quand même.
Pour les cas de trafic d'organes, nous n'avons vraiment pas de preuve.
Mais nous n'excluons pas cela.
FIN Les enfants Gosseries: une adoption manquée, un retour difficile L'un des dossiers d'adoption burundais qui avaient le plus remué la Belgique était sans doute celui des parents Gosseries, de Neufchâteau: en août 1997, cinq mois seulement après les avoir extraits des «Erythrines-Muha», il leur était devenu à ce point évident que leurs enfants burundais possédaient encore des tantes, un cousin, etc., qu'ils avaient décidé de les restituer à leur famille biologique paternelle.
Ces enfants étaient issus de l'union d'un Burundais et d'une Rwandaise, couple qui s'était déchiré lors des troubles du Rwanda.
A la mort de la mère, la famille maternelle avait choisi d'occulter officiellement l'existence d'une famille paternelle à Bujumbura.
Et, objectivement, revenons sur ce que nous avions écrit à l'époque: les responsables belge et burundais des Erythrines, MM.
Célis et Kagisyé, n'étaient pas responsables de ce ratage, uniquement dû à une fausse déclaration faite devant notaire par la tante maternelle des enfants.
Celle-ci risque pour cela quelque cinq années de prison ferme et se trouve même peut-être, pour l'heure, en territoire belge.
Mais qu'importe: l'histoire de Julien et Dieudonné, les «enfants Gosseries», connaît une suite qui montre que rien n'est simple. La révoquation de cette adoption est bloquée, tout comme les adoptions.
Et nous les avons retrouvés à l'école Saint-Michel de Bujumbura, en 2e et 3e primaire, au milieu de 1.600 élèves qui ne mangent certainement pas à leur faim.
La directrice nous dit qu'il est courant, ici, que des enfants tombent en syncope, n'ayant plus mangé depuis deux jours.
Ce n'est pas le cas de Julien et Dieudonné, mais, à l'entame de la saison des pluies, le plus jeune n'a pas de chaussures.
Quand nous lui annonçons que ses parents adoptifs vont revenir le visiter, il n'exprime pourtant aucun souhait de chaussures: il veut... retourner en Belgique, rien d'autre.
Le grand frère acquiesce à son tour.
Et pour cause: à quelques centaines de mètres de là, dans un des quartiers les plus pauvres de Bujumbura, Nyakabiga III, nous avons retrouvé la tante paternelle qui les héberge.
Nathalie vient de perdre il y a un mois son seul revenu, dans l'un des petits hôtels de la capitale.
Désormais, Julien et Dieudonné, Nathalie, les propres enfants de Nathalie et la grand-mère des enfants ne subsistent que de la vente de quelques tomates, sur le marché local.
Il faut louer la case, nourrir au moins cinq enfants.
Alors, Nathalie nous dit qu'elle ne s'opposerait plus au départ des enfants vers la Belgique, pour autant qu'ils continuent à écrire de temps à autre: pour l'heure, le père n'est pas revenu du Rwanda, son adresse est désormais inconnue et la poste retourne le courrier à l'expéditeur.
L'adoption était manquée, mais le retour, intellectuellement inévitable, n'est pas aujourd'hui une réussite.
Les parents Gosseries voulaient des nouvelles de leurs enfants.
Les voilà.
Elles ne seront sans doute pas simples à digérer.
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