Article Particuliers mais adoptables

January 2010

Janvier 2010

Article Particuliers mais adoptables

On les appelait encore récemment "enfants à particularité" avant qu'un nouveau vocable moins stigmatisant n'ait pignon sur milieu de l'adoption. La réalité de ces enfants "à besoins spécifiques " a-t-elle changé pour autant ?

En 1997, Pierre Verdier et Marieke Aucante parlaient, eux, dans leur ouvrage éponyme de « ces enfants dont personne ne veut », constatant ce « douloureux paradoxe » entre le volume de parents candidats à l'adoption et l'existence de ces enfants, en France, «seuls, promis à une enfance en institution » ou en famille d'accueil.

Quelles sont les spécificités qui font que ces enfants sont difficilement adoptables ? Ce sont des enfants qui souffrent de maladies, de pathologies, de handicaps plus ou moins invalidants, de déficience mentale, des enfants plus âgés déjà " cabossés ", des fratries... Les situations, on le voit, sont extrêmement diverses, entre l'enfant trisomique abandonné à la naissance, l'enfant prématuré pour qui il y a beaucoup d'incertitude ou celui sur lequel plane le risque d'un syndrome d'alcoologie fœtale (SAF), l'enfant de plus de 6 ans, l'enfant séropositif ou atteint d'une hépatite, l'enfant avec une fente labiopalatine (bec-de-lièvre) ou un doigt surnuméraire rejeté dans son pays pour cause de superstitions...

Une " spécificité " relie tous ces enfants : ils ne correspondent pas à l'image que se font la plupart des candidats à l'adoption, qui plus est quand ils souffrent déjà de ne pas avoir eu d'enfant biologique : l'enfant jeune et en bonne santé.

Pionniers catholiques.

Historiquement, ces enfants "à besoins spécifiques" trouvaient parfois une famille grâce aux Œuvres catholiques. Certaines de ces familles militantes, qui ont fait de l'adoption d'enfants handicapés une vocation, ont fondé la plupart des OAA spécialisés fort actives dans l'adoption d'enfants à particularité. C'est le cas d'Edith Labaisse, fondatrice de « Vivre en famille », mère de six enfants biologiques et de nombreux enfants handicapés adoptés. « Petite fille déjà, le fait que des enfants n'aient pas de famille m'indisposait, raconte celle qui dit avoir vécu avec chaque enfant une aventure, celle qui a changé un foyer occupationnel dans l'esprit d'un foyer en prévision d'avenir, celle qui a fait que « Vivre en famille » soit accrédité à Djibouti et au Congo.

Elle est un témoin privilégié de l'évolution en 15 ans des profils des enfants confiés à l'adoption, comme des familles candidates. Si les enfants trisomiques sont moins nombreux, le portrait type des adoptants colle un peu moins à l'image d'Epinal de la famille adoptante d'enfants différents : la famille nombreuse catholique,

Il faut dire que le contexte de l'adoption connait de profonds bouleversements.

En 2008, quand Jean Marie Colombani rendait son rapport sur l'adoption, la France enregistrait une baisse de quasi 24 % du nombre d'adoptions entre 2005 et 2007, qu'elles soient internationales (80 % des cas) ou nationales. Une baisse qui, même ralentie en 2009, se confirme. A contrario, le flux des parents titulaires d'un agrément et donc en attente de voir aboutir leur projet, lui, ne s'est pas tari loin de là : 28 000 candidats.

Cette baisse des adoptions s'explique en partie par des données géoéconomiques : l'aptitude croissante de certains pays d'origine à prendre en charge leurs enfants privés de famille. D'autant qu'avec la Convention de La Haye , s'applique le principe de subsidiarité selon lequel l'adoption internationale vient après l'adoption nationale. Par ricochet, la plupart des enfants proposés par certains pays sont des enfants à particularité.

En 2008, les enfants à besoins spécifiques représentaient 38,5 % des 582 adoptions réalisées via l'AFA. Chez Médecins du monde (Mdm), le premier OAA en termes de volume des adoptions, 50 % des adoptions sont dites complexes.

Le profil des parents candidats pour ces enfants change aussi avec une proportion moins grande de familles ayant déjà des enfants biologiques.

Ces adoptions " particulières seraient-elles l'avenir de l'adoption ? Pour le président de l'AFA Yves Nicolin comme pour Geneviève André-Trévennec, responsable des adoptions à Mdm, c'est une réalité qui se confirme et dont les parents en attente doivent prendre conscience sous peine de voir leur démarche d'adoption s'éterniser voire échouer.

C'est une réalité à nuancer toutefois il y a particularité et particularité. Les problèmes de santé en tant que tels ne représentent que 12% des adoptions via l'AFA. Si les parents aujourd'hui sont prêts à accepter des enfants plus vieux, des enfants ayant une particularité physique bénigne, des anomalies orthopédiques, des cardiopathies, des maladies chroniques répertoriées, leurs limites butent souvent sur les retards psychomoteurs avérés. Et l'AFA comme Mdm sont loin d'encourager l'adoption internationale d'enfants handicapés mentaux, ne serait-ce que par éthique : «Il y a assez d'enfants handicapés sans parents en France ».

Reste ce constat, dressé par le docteur Anne de Truchis, responsable de la Coca' de Versailles : les enfants qui arrivent en consultation à leur arrivée en France sont loin d'avoir une santé flamboyante. «Nous avons fait une étude pour 2008 : 29 % des enfants souffraient de retard de croissance, 27 % de troubles de la personnalité et du comportement, 16 % de retards psychomoteurs, 5 % de troubles autistiques, 3 % de SAF ». De plus en plus, « les parents viennent nous voir avant l'adoption », pour que cette pédiatre lise entre les lignes des dossiers médicaux parcellaires. Le risque est grand en effet concernant par exemple des enfants venus des pays de l'Est de voir un SAF se révéler au retour en France. Mdm multiplie les précautions pour atténuer ces risques d'adoptions non " éclairées " : consultations de médecins référents en amont, bilan médical dans un centre hospitalier pour chaque enfant, pas d'adoption avant l'âge de 3 ans dans les pays de l'Est, certains demeurant opaques dans la transmission des informations médicales. Une question se pose en effet : la préparation et l'accompagnement de ces parents adoptants, qui s'engagent dans des adoptions à priori périlleuses, sont-ils à la hauteur des changements profonds dans le paysage de l'adoption ?

Le constat est unanime : l'agrément français n'est plus à la hauteur de ces enjeux, d'abord parce que les disparités entre les départements sont flagrantes. Ensuite, une simple notice de l'agrément spéci

fiant les souhaits des parents ne saurait suffire à leur préparation à la réalité de l'adoption, à la " particularité " de cette filiation. D'autant plus si l'enfant ne correspond pas à une parentalité idéalisée.

Quant à l'accompagnement après l'adoption, aucun dispositif n'est prévu.

S'il n'était la solidarité qui règne dans les OAA telles que" Vivre en famille ", le suivi médical et psychologique à la demande effectué par le réseau encore embryonnaire des Coca, le travail d'écoute d'EFA, les parents seraient bien en mal de trouver des interlocuteurs formés aux problématiques spécifiques de l'adoption.

Car selon Arme de Turchis, le danger le plus grand dans toute filiation adoptive vient des troubles de l'attachement.

Encore faut-il en déceler les signes pour les prévenir. Or « on n'interprète pas les symptômes d'un enfant de la même manière quand il est adopté. Devant chaque enfant, je me pose, avec la

psychologue, la question du lien ».

« Je n'ai jamais vécu d'échec de l'adoption avec des enfants souffrant de pathologies médicales », confirme Geneviève André-Trevennec. Cette alchimie, cette « greffe » qu'il s'agit de broder sans un faux pas, se heurte plus souvent au passé des enfants, indélébile, au regard de la société aussi. Car on a aussi l'adoption qu'on mérite. Plus une société sera " ouverte " et tolérante, plus les enfants différents et leurs parents adoptifs auront-ils de chance d'y trouver leur place...

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