MdM: Aux origines de la mission Adoption

April 2012

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En France, MDM est la seule organisation non gouvernementale (ONG) médicale à avoir intégré dans ses statuts l’adoption internationale et être reconnue Organisme autorisé pour l’adoption internationale (OAA) depuis 1988. Geneviève André-Trévennec et Luc Jarrige reviennent sur la naissance, le rôle et l’évolution de cette mission pas comme les autres au sein de l’une des ONG emblématiques des French doctors

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Médecins du Monde (MdM), Adoption
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1En France, MDM est la seule organisation non gouvernementale (ONG) médicale à avoir intégré dans ses statuts l’adoption internationale et être reconnue Organisme autorisé pour l’adoption internationale (OAA) depuis 1988. Geneviève André-Trévennec et Luc Jarrige reviennent sur la naissance, le rôle et l’évolution de cette mission pas comme les autres au sein de l’une des ONG emblématiques des French doctors

Aux origines de la mission Adoption

2À l’image des ONG issues du sans-frontiérisme, MDM est fille des guerres et catastrophes naturelles au milieu desquelles elle tente d’apporter une aide humanitaire médicale et un témoignage. Plus que celui d'ONG d'urgence, MDM revendique le statut d'association de solidarité internationale, avec une mission sociale dédiée aux plus vulnérables, et cela depuis 1980, date de sa création. Alors que venait faire MDM dans l’adoption lorsque, en 1988, elle décida d’intégrer cette action dans son panel de missions ?

3C’est que la fin des années 1980 met à jour dans de grands pays – qui deviendront bien plus tard ceux que l’on dit « émergents » ? comme le Brésil ou la Russie et les anciens pays de l'Est, la situation dramatique de nombreux enfants sans famille, en proie aux pires prédations ou relégués dans des orphelinats insalubres. Dans le même temps, l’accueil d’enfants étrangers en vue de leur adoption en France s'est considérablement développé, au point de devenir plus important que l'adoption d'enfants français. Mais on se rend vite compte que ces enfants ? parce qu’ils viennent justement de pays connaissant une grande précarité, notamment sanitaire ? sont fréquemment carencés, se retrouvant alors dans des situations critiques sur le plan médical, mais également sur le plan juridique faute d’un statut protecteur correctement établi à leur arrivée sur le sol français.

4Une nouvelle mission qui fait débat

5En qualité d'association médicale de solidarité, MDM ne peut pas alors ne pas s’interroger quant à un éventuel accompagnement de ces enfants, délaissés dans leur propre pays, depuis leur orphelinat et tout au long de leur parcours d'adoption. Mais le conseil d’administration de l’association s’interroge en particulier sur la légitimité de ce qui est une action de protection de l’enfance, si différente a priori de ses missions habituelles. Sa crainte majeure est que, l’on puisse soupçonner une collusion entre des projets humanitaires et des adoptions répondant davantage au désir d’enfant de familles candidates à cet accueil qu’à l’intérêt de ces enfants.

6C’est finalement l’argument des droits de l’Homme, dont l’association a fait le fondement de son action, qui balaiera ces craintes et l’amènera à pousser cette logique jusqu’au bout : MDM ne peut que soutenir les droits des plus fragiles et des plus vulnérables des êtres humains, à savoir les enfants. De surcroît, en 1989, la Convention Internationale des droits de l’Enfant définissait officiellement ces droits, parmi lesquels l’accès aux soins, à l’éducation, à une famille et à une identité légale. C’est le docteur Claude Hertz, ancien secrétaire général de l’association, qui ouvrira donc cette nouvelle mission dont il assurera la direction jusqu’en décembre 2001.

7Nécessité de « circuits officiels et clairs »

8Sous l’impulsion de Simone Veil ? très investie sur cette question depuis la loi de 1966 sur l’adoption plénière, qui a été au Conseil supérieur de la Magistrature ? et du ministère de la Santé, l’État français crée une Autorité centrale pour l'adoption internationale, la mission Adoption internationale (MAI). Placée sous l'autorité du Quai d'Orsay, elle deviendra opérationnelle en 1988. De son côté, au ministère de la Santé, Michèle Barzach milite pour un partenariat avec les associations humanitaires afin de garantir l’encadrement de la démarche d’adoption, à partir des pays d'origine.

9À l’époque, les organisations ? alors appelées « Œuvres d’adoption » ? reçoivent une habilitation du ministère des Affaires étrangères pour chacun des pays d’origine et sollicitent une autorisation du président du conseil général de chacun des départements des futures familles d'accueil des enfants. Chaque organisation s'engage d’abord àrespecter les lois des pays et la législation internationale en vigueur. C’est ainsi que Médecins du monde obtient en 1990 sa première autorisation du département de la Seine et ses trois premières habilitations pour le Brésil, l’Équateur et la Roumanie.

10Désormais active sur un nouveau terrain, celui de l’adoption, Médecins du Monde est bien placée pour en constater les dérives et proposer les premières pistes de réforme : une meilleure information des adoptants sur les pratiques administratives et les lois, un accompagnement de leur démarche d'adoption lui apparaissent déjà comme un des moyens de prévention des débordements qu’elle observe.

11Avancées et encadrement par la législation internationale 

12Au seuil des années 1990, l’adoption internationale est marquée par des flux très variables en fonction de la géopolitique des pays, et des pratiques peu éthiques délétères pour les enfants, premières victimes des dérives, comme pour les adoptants. Ainsi l’ouverture de la Roumanie, marquant la fin de l’ère Ceausescu en décembre 1989, généra le départ de plusieurs milliers d’enfants vers l’étranger avec de nombreux dérapages. L'adoption y est alors vécue par certains comme une « action caritative », une forme d'aide humanitaire, alors que c'est l'avenir d'un enfant et la création de sa filiation psychoaffective dans sa famille d'accueil qui sont en jeu. L’adoption internationale souffre par ailleurs d'abus et de dérives éthiques et financières, confinant dans certains pays à des quasi-trafics d'enfants, souvent très médiatisés.

13Une régulation au niveau international s’imposait donc. Elle verra le jour dans le cadre de la Conférence internationale qui se tient à La Haye, aux Pays-Bas, en mai 1993. Une Convention sur la protection des enfants et la coopération entre les pays en matière d’adoption internationale est alors adoptée et proposée à la ratification du plus grand nombre d'États possible.

14La France la ratifiera pour sa part en juin 1998, prête à la mettre en vigueur en octobre 1998. Elle établissait ainsi un cadre légal pour l’adoption internationale s’appuyant sur la reconnaissance des droits de l’Enfant, en renforçant notamment le « principe de subsidiarité », lequel consiste à privilégier la prise en charge de l’enfant dans sa famille d’origine, puis dans sa communauté locale et nationale, avant d’envisager l’adoption internationale (« en dernier ressort », selon l’expression héritée de la pratique anglaise).

15C’est sur ces bases légales et internationales que la mission Adoption de Médecins du Monde confortait ainsi toute sa légitimité, se conformant en cela aux valeurs et aux engagements de l’ONG Médecins du monde envers l’enfance « vulnérable ». Son objectif était de rechercher une famille pour un enfant dont le droit ne pouvait être assuré dans son pays d’origine, afin de lui permettre de grandir protégé en ayant notamment accès aux soins de santé (en cas de pathologie) et à l’éducation, le tout dans le cadre légal de chacun des pays et conformément au principe de subsidiarité.

Les grandes périodes de la mission Adoption

16De 1990 à 2000 : la complexité déjà présente

17Une étude rétrospective réalisée par l’association sur cette décennie quasi fondatrice – la mission Adoption n’avait alors que 2 ans ? a démontré que si MDM avait accompagné l’adoption d’enfants venant de dix pays différents, la grande majorité venait de Roumanie (46 %) et du Brésil (32 %). Bien sûr, ils étaient souvent en grande difficulté en raison de leur vécu, de leurs problèmes de santé ou de leur âge.

18Ces enfants n’étaient pas en effet des petits nourrissons puisque 45 % d’entre eux avaient entre 3 et 6 ans, tandis que 26 % avaient 7 ans et plus. Autrement dit, plus des deux tiers étaient déjà grands et les trois quarts avaient un long passé en institution puisqu’ils avaient été abandonnés avant l’âge de six mois.

19La Roumanie, qui restera tristement célèbre pour ses grands orphelinats où erraient des enfants institutionnalisés dans des conditions très préjudiciables à leur développement, ratifiera la Convention de La Haye pour sa mise en œuvre en 1994, et le Brésil en 1999.

20Ouverture vers des pays à risques

21La mission Adoption de MDM sera habilitée à intervenir en Colombie dès septembre 1993, mais l’association ne commencera à accompagner un nombre significatif d’adoptions dans ce pays qu’après la ratification de la Convention de La Haye par ce dernier. C’est donc fin 1998 que débute une politique d’adoption répondant à des conditions plus rigoureuses, dans l’intérêt des enfants.

  • 1  Au-delà même de la mission Adoption, les valeurs de l’association ont toujours été « Soigner et té(...)

22Quand MDM est habilité auViêtnam en 1994, ce pays n’est toujours pas signataire de la Convention de La Haye. Il reste alors le terrain privilégié des adoptions individuelles avec tous les risques que cela comporte : dérives financières, état civil des enfants problématique, intermédiaires peu fiables, apparentements non contrôlés… Une telle situation entraînera même plusieurs fermetures temporaires de ce pays en 1994 et 1996, comme cela avait été le cas en 1992. Dans ce contexte, MDM travaille à l’établissement de circuits sécurisés témoignant1 à la fois auprès des autorités vietnamiennes et françaises de ces dérives, en particulier des propositions de très jeunes nourrissons, dont l’adoptabilité interrogeait les opérateurs étrangers. Les adoptions individuelles prendront fin en 2000 avec la signature de la Convention franco-vietnamienne qui, si elle est proche des exigences de la Convention de La Haye, n’arrête pas les difficultés sur le terrain ! En 2005, MDM sera ainsi alerté par les familles adoptantes, l'équipe vietnamienne et le coordonnateur général des programmes de l'ONG sur les dérives d'un correspondant de la mission adoption. À vrai dire, c’est l’arbre qui cache la forêt puisque le démantèlement par les autorités vietnamiennes de diverses filières, en particulier dans le nord du pays, confirmera par la suite le bien-fondé des suspicions de trafic. Une nouvelle autorité centrale vietnamienne, déterminée, conduira enfin ce pays vers la signature de la Convention de La Haye en novembre 2011.

23Pour laRussie,la mission adoption est habilitée en 1997. Dans ce pays qui n’est toujours pas signataire de la Convention de La Haye, MDM se heurte à des difficultés importantes : procédure administratives multiples, intermédiaires difficilement contrôlables, coûts élevés de la procédure locale… Mais le profil des enfants (grands, en fratrie ou à spécificités médicales) correspond aux engagements de l’OAA. Alors la mission Adoption travaille à la sécurisation de la démarche pour les enfants et les adoptants qu’elle accompagne. Les prises de position et actions humanitaires de l’association, notamment en Tchétchénie, ont valu à plusieurs reprises la suspension de la mission Adoption dans ce pays. Malgré la signature de la Convention bilatérale franco-russe le 18 novembre 2011 entre l’État français et l’État russe, la mission Adoption n’a toujours pas été à ce jour de nouveau accréditée par la Russie. Pour autant, ce contexte est sans doute amené à changer compte tenu de l’engagement et de l'expertise de MDM pour les adoptions « complexes ».

24Le cas de la Chine : impact de la politique de l’enfant unique et « besoins spécifiques »

25C’est en 1998 que MDM débute sa mission Adoption en Chine. À partir de 2000 et jusqu’en 2006, la Chine deviendra l'un des principaux pays d’origine en raison de sa politique de l’enfant unique. Nombreux sont les « deuxième enfant » — ou souvent la petite-fille lorsqu’elle naît en premier — à être abandonnés par les familles qui privilégient l'enfant unique masculin. De fait, les enfants abandonnés dès leur plus âge sont majoritairement des petites filles en bonne santé concordant avec le souhait des familles adoptantes.

26Si la Chine signe la Convention de La Haye en 2000, elle ne la ratifiera qu’en 2005. Pourtant la procédure d’adoption est dès le début très encadrée par les autorités chinoises. Contrairement à la majorité des OAA, et selon les principes mêmes de la mission Adoption, MDM s'est déjà spécialisé dans l'accompagnement d’enfants avec particularités médicales, puis de « grands enfants ». L'association est ainsi rapidement identifiée par les autorités chinoises comme une OAA privilégiée pour ces adoptions complexes. Des enfants à particularités médicales, souffrant de cardiopathies, de fentes labio-palatines ou de problèmes orthopédiques curables, sont alors proposés par la Chine à MDM. L’OAA doit alors trouver la famille la plus adaptée pour assumer chaque enfant en fonction de son handicap. À travers les adoptions complexes, MDM réaffirme ses engagements initiaux tout en évitant de cautionner la politique de l’enfant unique…

272005 : Le grand changement

28À partir de 2005, les grands pays émergents (Russie, Chine, Brésil, Inde) développent leurs politiques d’adoption nationale. MDM souligne combien, en application du principe de subsidiarité, les adoptions d'enfants vulnérables qui s’ensuivent dans leur pays d'origine constituent un véritable progrès dans la prise en charge par chaque État de « ses enfants ».

29Mais cet état de fait a pour conséquence de tarir assez brutalement le flux des enfants proposés à l’adoption internationale. Le profil des enfants proposés s’en voit progressivement modifié avec une prévalence plus forte d’enfants grands et/ou à problèmes médicaux, en général peu adoptés dans leur pays. L'association s’inscrit naturellement dans l’accompagnement de ces adoptions complexes grâce aux compétences professionnelles de sa mission : plus de deux cent vingt personnes bénévoles — dont 17 % de médecins, 31 % de psychologues et 23 % de professions paramédicales et travailleurs sociaux — s’y investissent.

30Philippines : champ des pratiques du futur ?

31La mission Adoption a obtenu son habilitation en juin 2009, mais n’obtiendra son accréditation qu’après une inspection des autorités des Philippines en mai 2010. Ce pays, signataire de la Convention de La Haye, tourné d’abord vers les États-Unis, bénéficie dans ce domaine, d’une remarquable organisation et d’une grande rigueur de procédure. Les Philippines ont ainsi adopté un moratoire afin d'ajuster l’afflux des candidatures par rapport aux propositions d’enfants adoptables afin de ramener à deux ans le délai pour l'adoption internationale. Le pays — parce qu’il ne peut garantir l’adoption d’un enfant en bonne santé physique et mentale — est ainsi parmi les premiers à demander aux adoptants de remplir une fiche sur le profil de l’enfant qu’ils se sentent en mesure d’assumer afin de mieux établir les apparentements au bénéfice des enfants.

32MDM a ainsi débuté depuis trois ans un partenariat avec cet État qui tente ainsi d’allier l’intérêt des enfants, ses exigences pour garantir les droits de ces dernierset les projets des adoptants.

33Un fonctionnement de la mission plus adapté au contexte

34À partir de 2007, la mission s’ouvre sur des pays à plus grande précarité (Haïti, Madagascar, Côte d’Ivoire) aux institutions fragiles, en particulier pour les enfants non proposés dans les circuits habituelsde l'adoption : enfants à spécificités médicales (cardiopathie, malformations orthopédiques, surdité, fentes labio-palatines), mais aussi enfants de plus de 5 ans ou en fratrie.

35Un pôle médical composé de deux pédiatres et un biologiste examine alors toutes les propositions d’enfants, qu’ils soient annoncés ou non avec spécificités. De même un pôle psychosocial analyse l’histoire sociale de l’enfant et ses difficultés afin de préparer la famille et développer une politique de réduction des risques en post-adoption. Ce travail s’effectue en relation avec un réseau national de spécialistes référents pour les différentes pathologies somatiques et psychologiques et les consultations d’orientation et de conseils en adoption.

36Des choix pour le futur

37La mission Adoption partage ses réflexions avec d’autres instances internationales comme le Service social international (SSI), basé à Genève, qui offre son soutien aux enfants et aux familles confrontés à des problématiques d’ordre social et juridique, dans un contexte transnational.

38Le séisme du 12 janvier 2010 en Haïti a révélé dans ce pays fragilisé non signataire de la convention de La Haye les risques, en situation d’urgence, d’une politique d’adoption internationale non maîtrisée dans le pays d’origine, champ privilégié des adoptions individuelles qui y représentaient 80 % des adoptions. Ces risques amènent MDM à arrêter toute nouvelle adoption en attendant de nouvelles garanties institutionnelles. Mais la mission demeure néanmoins prête à continuer à soutenir la formation d’une nouvelle équipe de la future Autorité centrale haïtienne aux outils pratiques, telle une base de données répertoriant les centres et les enfants comme les caractéristiques des adoptants afin de garantir un cadre éthique pour les adoptions.

39De même en Ukraine, le recrutement des familles par MDM a été suspendu en septembre 2011 compte tenu du contexte local : absence de dossier d’enfant disponible pour l’OAA, propositions d’enfants directement aux adoptants sur fiches avec des circuits non sécurisés.

40Fin 2011, le Viêtnam signe la Convention de La Haye. En collaboration avec le Service social international de Genève, MDM opérateur terrain complémentaire, pourra contribuer à l’évolution des pratiques vers les standards de la Convention de La Haye, en privilégiant les adoptions complexes.

Les adoptions complexes et leur incidence sur les pratiques

41Une adoption complexe ne relève pas uniquement du profil de l’enfant (grand, en fratrie ou avec des problèmes médicaux). Le profil des futurs parents ainsi que le contexte du pays d’origine de l’enfant doivent être également pris en compte. La recherche d’une famille pour un enfant à besoins spécifiques nécessite l’intervention de professionnels de l’enfance (médecins, pédopsychiatres, psychologues, travailleurs sociaux, mais aussi juristes…) afin d’évaluer les besoins de l’enfant et ses difficultés potentielles d’adaptation ainsi que les capacités parentales pour répondre et faire face à ces besoins.

42La préparation à la parentalité adoptive : une nécessité

43Depuis 2007, MDM a développé des programmes de préparation à la parentalité adoptive proposés à tous les futurs parents. Inspirés par les pratiques de pays ayant déjà développé ces préparations, comme le Canada et la Belgique, ces programmes étaient jusqu’à présent facultatifs au niveau de l’OAA. En 2011, une préparation spécifique pour les adoptions de fratries, d’enfants grands et d’enfants à problèmes médicaux a débuté, devenue désormais une obligation au sein de la mission MDM pour préparer les adoptants aux adoptions complexes.

44En effet, dans le cadre des adoptions complexes, l’OAA est souvent partie prenante dans les propositions d’apparentement, ce qui nécessite une évaluation préalable professionnelle permettant de minimiser les difficultés futures dans l’intérêt des enfants et de leur famille.

45Formation continue et suivi post-adoption

46Le suivi post-adoption est par ailleurs une période sensible pour l’accompagnement des familles et de l’enfant lors de la construction des liens d’attachement. Dans ce cadre, MDM assure ce suivi pendant au moins deux ans, avec un investissement permanent en formation continue de ses équipes « chargées de suivi ». Cette formation est assurée par des experts des principaux thèmes tandis que des études de cas illustrent en général ces formations.

Quelles limites aux adoptions complexes ?

47L’accroissement de la sévérité des pathologies proposées par les pays d’origine (malformations importantes, parfois avec risque vital, pathologies psychomotrices sévères, etc.) amène la mission Adoption à se questionner sur les possibilités de trouver une famille sans aller au-delà de ses limites. Le risque est en effet, à terme, un échec préjudiciable pour l’enfant d’abord, mais aussi pour tous ceux qui sont inscrits dans la chaîne de l’adoption.

48Ces réflexions sur les limites de l’adoptabilité génèrent également une réflexion du pays d’accueil sur sa propre politique d’adoption nationale : quel projet de vie pour un enfant délaissé ? Intérêt et limites des familles d’accueil ? Alternative famille d’accueil versus adoption ? Le projet de loi déposé par la députée Michèle Tabarot et débattu à l’Assemblée nationale le 1er mars 2012 traduit la préoccupation de la France sur sa propre politique de protection de l’enfance et d’adoption. Cela concerne notamment le délaissement parental et l’abandon judiciaire qui ouvrent la porte à l’adoption.

49L’aspect juridique de la filiation est un champ de réflexion remis en cause par les adoptions complexes, notamment celles d’enfants grands ou de fratries segmentées dont certains membres sont restés dans le pays d’origine. Ceci pose le problème de la rupture irrévocable des liens avec la famille biologique, comme c’est le cas dans l’adoption plénière, laquelle était habituelle aux débuts de l’adoption internationale. À l’inverse, l’adoption simple qui maintient la double parentalité est révocable : est-elle adaptée dans le cadre de l’adoption internationale ? Existe-t-il d’autres alternatives, une sorte de « troisième voie » entre l’adoption plénière et l’adoption simple ?

50Ce champ de questionnements croise aussi et surtout les évolutions sociétales et la réflexion sur la filiation en particulier face à la procréation médicale assistée, aux familles recomposées, aux familles monoparentales et aux familles homoparentales. Il faut savoir que les pays d’origine restent encore dans des structures familiales très traditionnelles où la circulation de l’enfant dans la famille élargie est bien connue des anthropologues.

51À travers cette expérience des adoptions complexes, de grands enfants, de fratries réparties sur plusieurs familles, MDM participe activement à ces réflexions sur l'évolution de la parentalité. Elle apporte son témoignage sur la construction des liens psychoaffectifs de filiation d'enfants qui parviennent à maintenir le contact avec leur famille biologique. Cette réflexion sur la filiation et ces évolutions sociétales ouvre le chantier de l'adoption nationale, en particulier de l'adoptabilité de nombreux enfants maintenus en famille d'accueil ou en institutions parce que subsiste toujours un lien ténu avec leur famille biologique.

De la place et du rôle de l’ONG Médecins du Monde dans l’adoption aujourd’hui… et demain

52Au-delà des OAA et des institutions locales, l’adoption internationale relève également d’enjeux interétatiquesmêlant diplomatie, politique d’immigration et reconnaissance juridique des actes d’adoption des enfants dans leur pays d’origine. Les États d’accueil en arrivent parfois à une ingérence directe dans la politique des États d’origine, provoquant des réactions parfois hostiles de la population.

53Divers exemples illustrent ces problématiques, comme au Viêtnam en 1968 face à l’augmentation significative de départs d’enfants ou en Corée dans les années 1950-1960 où l’adoption était totalement aux mains d’une organisation américaine, le Holt Adoption Program. En Roumanie, dans les années 1970, Ceausescu établit une politique familiale et nataliste provoquant l’abandon de nombreux enfants pris en charge par l’État, faisant de l’adoption internationale un avenir pour les enfants institutionnalisés. Plus proche de nous, à la suite du séisme en Haïti, plusieurs États d’accueil après l’organisation d’évacuations massives d’enfants en cours d’adoption (dont 80 % d’adoptions individuelles) font pression au niveau de l’État haïtien pour une nouvelle réglementation contrôlée de l’adoption.

54Ces enjeux demeurent complexes et le contexte de l'adoption est en permanence à réévaluer, pays par pays, avec le prisme de l'intérêt des enfants et la protection de leurs droits fondamentaux. Néanmoins, dans tous les États où l'adoption internationale a pu être encadrée en érigeant des règles éthiques, la protection de l'ensemble des enfants et adolescents en situation vulnérable s'est trouvée améliorée.

55Médecins du Monde, par son profil d’association médicale de solidarité et son positionnement préférentiel sur les adoptions plus difficiles d’enfants à besoins spécifiques est en mesure de témoigner avec plus de recul sur les risques de dérives constatées sur le terrain. Elle est également à même de proposer un véritable partenariat avec les autorités locales pour l’évolution des pratiques de l’adoption et leur encadrement dans l’intérêt de l’enfant.

56MDM poursuit sa mission adoption tant que l’adoption internationale demeure un des ultimes moyens de protection de l’enfant vulnérable. L'accroissement de l'adoption nationale dans les pays émergents et les risques de dérives dans les pays à grande précarité justifient plus que jamais la priorité donnée aux adoptions complexes. MDM doit continuer à se positionner comme force de proposition auprès des autorités locales ici et là-bas, bâtissant des partenariats avec les pays d'origine, contribuant à l’amélioration de la protection de l'enfance vulnérable. À travers son expérience et ses partenariats, MDM témoigne des évolutions sociétales, s'inscrit comme acteur de transformation sociale en accompagnant les politiques de protection de l’enfance ici et là-bas. Et qui sait ? Peut-être que demain l’adoption internationale n’aura plus lieu d’exister…

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Notes

1  Au-delà même de la mission Adoption, les valeurs de l’association ont toujours été « Soigner et témoigner ».

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Pour citer cet article

Référence électronique

Geneviève André-Trévennec et Luc Jarrige , « Une mission particulière au sein d'une association de solidarité internationale : l’adoption à Médecins du Monde », Humanitaire [En ligne], 31 | 2012, mis en ligne le 26 avril 2012, Consulté le 04 novembre 2012. URL : http://humanitaire.revues.org/index1214.html

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Auteur

Geneviève André-Trévennec et Luc Jarrige

Geneviève André-Trévennec est pédiatre et responsable (bénévole) de la mission Adoption à Médecins du Monde. Luc Jarrige est médecin réanimateur, membre du conseil d’administration de Médecins du Monde où il est en particulier référent pour la mission Adoption.

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