La France refuse de délivrer des visas à 54 enfants de RDC adoptés par des familles françaises

9 December 2016

BFMTV Société Famille

La France refuse de délivrer des visas à 54 enfants de RDC adoptés par des familles françaises

09/12/2016 à 15h08

Des enfants jouent au football à Butembo, en République démocratique du Congo

Des enfants jouent au football à Butembo, en République démocratique du Congo - Eduardo Soteras-AFP

Céline Hussonnois-Alaya

La France refuse de leur délivrer un visa. Cinquante-quatre enfants adoptés par des parents français sont bloqués en République démocratique du Congo (RDC). Les autorités invoquent des irrégularités "juridiques et éthiques". L'avocate des familles et une des associations en charge de ces dossiers d'adoption s'inquiètent quant à l'avenir de ces enfants.

Certains attendent depuis plusieurs années. Cinquante-quatre enfants de République démocratique du Congo (RDC) qui avaient été adoptés par des familles françaises ne pourront peut-être jamais se rendre dans leurs nouveaux foyers, faute de visas. Les autorités de l'Hexagone ont décidé mi-novembre de suspendre les adoptions en RDC à compter du 1er janvier prochain. En cause, "des irrégularités constatées depuis des mois dans les dossiers" de ce pays d'Afrique centrale.

"Éviter le risque de trafics"

"Il s'agit d'une décision difficile mais qui, en raison de l'insuffisance des garanties juridiques et éthiques entourant l'adoption dans ce pays, a été jugée impérative", a expliqué le Quai d'Orsay fin novembre dans un communiqué diffusé sur son site internet.

Le ministère des Affaires étrangères a justifié cette décision par sa volonté "d'éviter le risque de trafics d'enfants".

Parmi les "irrégularités" constatées: la "fraude documentaire"; des consentements de parents biologiques donnés longtemps après le jugement d'adoption, ou même absents; pas de preuve de décès des parents biologiques mais aussi des enfants ayant "trois actes de naissances", ont précisé des sources au ministère. Pourtant, en 2016, 233 visas d'adoption ont été délivrés.

"Ces enfants ne sont pas volés"

Du côté des autorités congolaises, les familles adoptantes sont pourtant bien les nouveaux parents de ces enfants. Les jugements d'adoption et les autorisations de sortie du territoire ont été officiellement émis. Céline Boyard, avocate de plusieurs familles, dénonce pour BFMTV.com "l'hypocrisie" de la France. "Le ministère des Affaires étrangères ne vient pas de découvrir ces dossiers. Il les connaît depuis 2013. S'il y avait des irrégularités, il n'aurait pas dû laisser la RDC prononcer des jugements d'adoption."

"Ce sont leurs enfants dans leurs cœurs", s'indigne également Maurice Labaisse, président de l'association Vivre en famille en charge de 27 de ces dossiers d'adoption, joint par BFMTV.com. "Ils portent le nom de leurs parents français. Juridiquement et humainement, ce n'est pas tenable."

S'il reconnaît certaines irrégularités et des dysfonctionnements des services d'état civil, il estime que ces anomalies ont été corrigées et que la validation des dossiers par les autorités congolaises devrait primer. "Ces enfants ne sont pas volés", rappelle-t-il.

"Certains attendent depuis plus de quatre ans"

Si elles ne l'ont pas déjà fait, les familles de ces 54 enfants ont jusqu'au 31 décembre pour déposer une demande de visa d'adoption auprès de l'ambassade de France. Après cette date, "il ne sera plus possible juridiquement de donner suite", prévient le ministère des Affaires étrangères. Si cette demande de visa est refusée, les parents pourront ensuite déposer un recours à la commission de refus des visas. En dernier lieu, ils pourront contester cette décision devant le tribunal administratif.

"Mais tout cela prend du temps, il y en a encore pour un ou deux ans de procédure", s'inquiète Maurice Labaisse. "Et si le recours n'aboutit pas, que va-t-il se passer? Que vont devenir ces enfants? Certains attendent depuis plus de quatre ans."

Car avant la France, c'est la RDC qui avait bloqué leur adoption. Fin 2013, Kinshasa avait suspendu les autorisations de sorties pour les enfants adoptés par des étrangers. Ce n'est qu'en mars dernier que ce gel a pris fin. Suite à cela, 233 enfants ont pu rejoindre leurs familles adoptantes, sauf pour ces 54 derniers.

"Ce n'est pas ça l'état de droit"

Pour l'avocate Céline Boyard, cette date limite du 31 décembre est "scandaleuse". Et illustre la "défaillance des services de l'administration française".

"Toutes les familles n'ont pas fait une demande de visa. Pour certaines, le dossier est toujours en cours d'examen: le ministère des Affaires étrangères leur a demandé des pièces complémentaires. Cette injonction est incompréhensible. D'autant que si ces familles déposent une demande, elles sont assurées d'un refus étant donné que le dossier sera incomplet. Cela n'a aucun sens sauf si le ministère a décidé que, quelque soient les pièces complémentaires fournies, elle opposera un refus. Or ce n'est pas ça l'état de droit. Ce n'est pas ça vivre dans la patrie des droits de l'homme."

Pour les familles, ce refus est inexplicable. Irène et Denis Grelier ont accueilli leur première fille née en RDC en 2011, Mirali, aujourd'hui âgée de 10 ans. Et ont obtenu un agrément pour un deuxième enfant dans la foulée. "La petite sœur biologique de notre fille était adoptable, c'est devenu une évidence pour nous", assure pour BFMTV.com la mère de famille, qui se bat pour qu'Irena, 6 ans, puisse venir en France.

"C'est la Mission de l'adoption internationale (MAI) elle-même qui nous a conseillé de passer par Vivre en famille et d'adopter sa sœur. Aujourd'hui, on nous reproche ce pour quoi on a été encouragé il y a quatre ans. C'est comme si on était coupable de vouloir adopter la sœur de notre fille. Le refus de visa, sans aucune justification, n'est pas motivé par des irrégularités dans le dossier, il n'y a aucune irrégularité."

"On va y arriver, ne serait-ce que pour sa grande sœur"

Irène Grelier estime que les autorités françaises, qui lui proposent de "parrainer notre fille à distance", refusent le dialogue. "La MAI ne répond plus au téléphone, des familles qui se sont rendues sur place n'ont pas été reçues. Nous avons envoyé une lettre au Premier ministre, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve. Sans réponse. Nous avons déposé un recours à la commission de refus des visas, toujours sans réponse."

Si elle avoue avoir "des moments de baisse de moral", elle assure qu'elle se battra "jusqu'au bout".

"On sait qu'on va y arriver, ne serait-ce que pour sa grande sœur. Cela fait quatre ans qu'on lui dit que sa petite sœur va nous rejoindre. Cette année, elle est entrée en CM2, cela fait quatre ans qu'elle s'imagine qu'elle pourra faire sa rentrée des classes avec elle, faire sa photo de classe avec elle. Et elle ne peut toujours pas le faire."

"Plus aucun de ces enfants n'est pris en charge"

En plus de la décision de suspendre l'adoption en RDC, trois organismes qui étaient jusqu'alors autorisés se verront également retirer leur habilitation, dont l'association Vivre en famille. Maurice Labaisse, son président, craint que cette décision ne sape le travail mené par son association, agréée depuis 2008, pour "donner une image positive à l'adoption".

"C'est injuste. Nous avons rencontré jusqu'aux plus hautes autorités congolaises. Cela va nous enlever toute légitimité et la confiance que l'on nous accordait. Et cela va mettre en danger les enfants. Car les parents supportaient aussi leur entretien à distance. Que vont-ils devenir si nous ne sommes plus là?"

Des inquiétudes partagées par Céline Boyard, qui estime par ailleurs que cette affaire pose des questions de droit.

"La France nie un jugement étranger, c'est encore plus grave. Et le ministère met en risque ses ressortissants de ne pas pouvoir être parents. Or, en France, quand un parent est défaillant, il est poursuivi et se voit retirer l'autorité parentale. Aujourd'hui, plus aucun de ces enfants n'est pris en charge par les structures de l'État congolais. Ils pourraient devenir l'objet d'un chantage financier et même être potentiellement la proie de trafic."

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