La plainte de neuf Français d’origine malienne pour « escroquerie » à l’adoption classée sans suite
La plainte de neuf Français d’origine malienne pour « escroquerie » à l’adoption classée sans suite
Surpris par la rapidité de la décision du parquet, les avocats vont déposer une nouvelle plainte, avec constitution de parties civiles.
Par Morgane Le Cam et Kaourou Magassa Publié aujourd’hui à 17h13, mis à jour à 17h23
Temps deLecture 4 min.
Partage
Partager sur Facebook
Envoyer par e-mail
Partager sur Messenger
Plus d’options
Pour ne rien manquer de l’actualité africaine, inscrivez-vous à la newsletter du « Monde Afrique » depuis ce lien. Chaque samedi à 6 heures, retrouvez une semaine d’actualité et de débats traitée par la rédaction du « Monde Afrique ».
Marie M. à Bamako veut prendre un bus pour rejoindre sa présumée ville natale, Ségou, à 240 kilomètres. La plaignante, adoptée par des Français il y plus de trente ans, est retournée au Mali en janvier 2020 pour retrouver la trace de sa famille naturelle.
Marie M. à Bamako veut prendre un bus pour rejoindre sa présumée ville natale, Ségou, à 240 kilomètres. La plaignante, adoptée par des Français il y plus de trente ans, est retournée au Mali en janvier 2020 pour retrouver la trace de sa famille naturelle. Matthieu Rosier/Matthieu Rosier
Pour Marie M., la surprise est totale. Mardi 7 juillet, la Française d’origine malienne, adoptée il y a une trentaine d’années à Bamako, vient d’apprendre que la plainte qu’elle a déposée pour « escroquerie », « recel d’escroquerie » et « abus de confiance », a été classée sans suite par le parquet de Paris.
Le 8 juin, elle et huit autres Français, adoptés au Mali dans les années 1980 et 1990, avaient porté plainte au tribunal de grande instance de Paris contre l’organisme d’adoption Rayon de soleil de l’enfant étranger (RDSEE) et Danielle Boudault, leur ancienne correspondante au Mali. Tous reprochaient à l’association française d’avoir menti sur les conditions de leur adoption et de les avoir arrachés à leurs familles biologiques maliennes, contre le gré de ces dernières.
Mais selon une précision du parquet, sollicité par Le Monde Afrique, les faits qualifiés d’« escroquerie » sont prescrits et ceux qualifiés de « recel d’escroquerie » et d’« abus de confiance » ne sont pas « suffisamment caractérisés ». L’avis de classement sans suite du parquet de Paris, que Le Monde s’est procuré, précise à l’un des plaignants : « L’examen de cette procédure ne justifie pas de poursuite pénale, au motif que les faits ou les circonstances des faits dont vous vous êtes plaint n’ont pu être clairement établis par l’enquête. »
Enfants « volés »
Le document de trois pages est daté du 24 juin. Soit quinze jours après le dépôt de plainte. « Je suis très surprise par la rapidité de la décision. Je pensais que le parquet prendrait des mois à étudier le dossier, qui fait plus d’une centaine de pages ! », s’étonne Marie M.
Pour son avocate, Me Noémie Saidi-Cottier, c’est du jamais-vu : « Une décision aussi rapide, c’est complètement inédit. De toute ma carrière, ça ne m’est jamais arrivé. Le parquet veut faire croire qu’en quinze jours ils ont mené une enquête sur des faits qui remontent à trente ans et qui concernent deux pays alors que, de notre côté, nous avons passé des mois à faire un travail de recherche, à recouper des infos, à aller sur place. Ça paraît absurde d’aller aussi vite. »
« C’est une plainte qui dérange beaucoup de gens, estime Marie M. Beaucoup de personnes sont concernées. La justice et donc l’Etat français, le ministère des affaires étrangères, Rayon de soleil de l’enfant étranger, peut-être même des officiels maliens haut placés. Cela peut-il expliquer le fait que ça soit classé sans suite ? », s’interroge-t-elle.
Article réservé à nos abonnés Lire aussi « C’est difficile pour les familles biologiques, et aussi pour les familles adoptantes » : du Finistère au Sahel, un passé à recomposer
La plainte insiste lourdement sur les « insuffisances de la Mission de l’adoption internationale (MAI) », l’organe du Quai d’Orsay chargé de contrôler les organismes d’adoption internationaux. « Concernant les plaignants, il paraît acquis que la MAI n’a pas rempli sa mission à leur endroit. […] Elle a laissé prospérer, des années durant, des adoptions tout à fait interdites juridiquement. […] En définitive, si des agissements fautifs ont été commis par les mis en cause, ils ont été tolérés, voire facilités, par la MAI », pouvait-on y lire.
Dans la période des faits incriminés, de 1989 à 1996, Rayon de soleil et Danielle Boudault, « insistaient sur le caractère temporaire de l’adoption proposée [aux familles biologiques] et assuraient que l’enfant reviendrait vivre au Mali une fois atteint ses 18 ans », précisait la plainte.
Trente ans plus tard, aucun adopté n’est retourné vivre au Mali. Plusieurs familles biologiques, que Le Monde a rencontrées à Bamako ces derniers mois, affirment chercher leurs enfants depuis plus de trois décennies. Depuis le jour où Rayon de soleil leur a, selon leurs mots, « volé » leurs enfants.
L’association s’insurge contre ces accusations. « Elle [l’association] réfute toute participation à quel titre que ce soit à un trafic d’être humains », précise l’organisme dans un communiqué publié le 9 juin sur son compte Facebook.
« D’autres faits récents »
Concernant la décision du parquet, Marie M. en prend note, mais affirme qu’elle ne signifie en aucun cas la fin de son combat. La jeune femme, comme les autres plaignants, se dit plus déterminée que jamais. Selon leurs avocats, une nouvelle plainte, avec constitution de parties civiles, sera déposée dans les jours qui viennent. Et ce deuxième acte sera, préviennent-ils, renforcé. La Voix des adoptés (VDA), association qui défend les adoptés français dans la recherche de leurs origines, se constituera partie civile, au côté d’une mère adoptive et de nouveaux adoptés français. Car, depuis le premier dépôt de plainte, les avocats de l’AADH et la VDA ont été contactés par une dizaine de Français qui eux aussi, estiment avoir été floués par RDSEE.
Article réservé à nos abonnés Lire aussi De Paris à Bamako, la douloureuse quête de vérité de Marie M. sur les circonstances de son adoption, il y a trente-deux ans
« Cela ne concerne plus seulement le Mali et, dans certains cas, les faits sont si récents qu’ils ne sont certainement pas prescriptibles », ajoute Me Saidi-Cottier. Une famille ayant adopté un enfant en Haïti reprocherait à l’association des faits commis il y a seulement deux ans. Aujourd’hui, Rayon de soleil de l’enfant étranger continue d’œuvrer en tant qu’intermédiaire à l’adoption dans ce pays, avec l’agrément du Quai d’Orsay, tout comme en Bulgarie, au Chili, en Chine, en Corée du Sud et en Inde.
Dans les années 1990 et 2000, les agissements supposés frauduleux de l’association avaient déjà été dénoncés par voie de presse au Mali, en Centrafrique et au Pérou. Mais RDSEE n’aurait jamais été inquiétée par la justice française. Aujourd’hui, les adoptés français originaires du Mali réclament que justice soit rendue, pour pouvoir enfin panser les plaies du passé.
Morgane Le Cam(Ouagadougou, correspondance) et Kaourou Magassa
a