L’affaire des « bébés roumains
lundi 2 juin 2014
L’affaire des « bébés roumains »
Image extrait de Bucarest 1986-1988, poétique d’une histoire.
"L'affaire des bébés roumains" est nommée ainsi par la presse française au début des années quatre-vingt (notamment on retrouve ce titre dans le Quotidien de Paris, du 3 Juin 1983) et rend compte de la situation de blocage des adoptions d'enfants roumains en Roumanie par des adoptants internationaux au cours des années quatre-vingt jusqu'au début des années quatre-vingt dix.
En janvier 1988 la mobilisation de l'association Enfance & Familles d'Adoption, fédération nationale des nombreuses associations départementales, débloque la situation pour quelques candidats à l'adoption pour l'été 1988 en interpellant les politiques. On retrouve un communiqué du ministère des affaires étrangères datant du 20 juillet 1988, où l'on apprend que selon la déclaration du porte parole du Quai d'Orsay : " Le Conseil d'Etat roumain a approuvé l'adoption de 74 enfants roumains par des familles françaises." (2)
Il est écrit dans ce communiqué que "L’affaire des « bébés roumains » remonte à une dizaine d’années. A l’époque, des avocats roumains étaient venus en France proposer à des couples d’adopter, moyennant une certaine somme, des enfants roumains. Les candidats à l’adoption se sont rendus en Roumanie, où ils ont pu choisir comme on leur promettait « leur » enfant avant d’ouvrir une procédure d’adoption." Si selon l'article, certains "on pu choisir", il est à noter que cela ne s'est pas systématiquement passé ainsi non plus. Certains se sont vu proposé un enfant, sans qu'il y ait de choix préalable de leur part.
En février 1989 tout les dossiers sont refusés, soient 80 ouverts à l'époque : "la décision roumaine du rejet des dossiers a été notifiée quelques jours après que l'ambassadeur de Roumanie ait effectué une démarche au département pour demander que la France se désolidarise du projet suédois déposé à la commission des droits de l'homme concernant les Droits de l'homme en Roumanie et se plaindre de l'image de son pays donnée par les médias français" (1).
Malgré toutes les mobilisations, il faudra attendre la révolution de décembre 1989 pour voir arriver les autres enfants roumains dans leurs familles adoptives.
Yves Denéchère rend parfaitement compte de la complexité du cas Roumain dans son ouvrage Des enfants venus de loin (paru chez Armand Colin, 2011) dans lequel il montre comment les candidats à l'adoption ont été instrumentalisés. L'adoption des enfants roumains présente un avantage non négligeable comparée aux autres pays ouverts à l'adoption internationale : l'âge des parents adoptants n'est pas limité à 35 ans : "La Roumanie est donc une opportunité rare, parfois la seule qui est vraiment ouverte à certains candidats, d'où leur extrême détermination pour arriver à un résultat." (1)
Cependant, les adoptions ne se déroulent pas comme prévues. Si, au début des années quatre-vingt c'est l'Etat Roumain qui fait barrage à l'adoption, Yves Denéchère rapporte que certains dossiers semblent au cours des années quatre-vingt bloqués par la France. Des candidats à l'adoption d'un nourrisson de vingt mois, déjà rencontré à de multiples reprises sur place, n'arrivent pas à concrétiser l'adoption selon eux à cause de "l'absence d'attestation française [empêchant] les dossiers d'être étudiés par le Conseil d'Etat" (1). Parfois, certains parents arrivent à accueillir leur enfant en moins d'un an, comme le cas de Sandra et Jef qui "ramènent de Roumanie un petit Ioan en mai 1988" alors qu'il l'avaient rencontré en février 1987. Mais, pour de nombreux autres candidats, l'attente est plus longue, et surtout non expliquée. Ce qui amène de nombreux parents à dénoncer cette situation en écrivant aux hommes politiques et à l'Etat pour les soutenir et les aider à sortir les enfants le plus rapidement.
Exemple d'une demande
Même si les enfants adoptés ne sont pas toujours négligés (comme certains l'observent à Bucarest), la gestion des crèches roumaines se fait à la mesure d'un pays en crise, sous la dictature du Conducator. Yves Denéchère rapporte très justement les conséquences de cette situation endurée par les parents adoptants : " Tous les témoignages d'adoptants publiés ou recueillis dans le cadre de cette étude, insistent sur les fins de semaines passées en Roumanie pour voir l'enfant qui leur a été promis lors de leur premier séjour. L'attente étant longue, parfois dix-huit mois, entre la première rencontre et la sortie de l'enfant vers la France, les couples ayant affaire à la même crèche s'organisent : chaque fin de semaine, l'un d'entre eux fait le voyage, entretient les relations avec la crèche, apporte des médicaments, des habits, rapporte des nouvelles et des photos des enfants des autres." (1)
C'est ce dont traite la vidéo réalisée par Laura Giraud Bucarest 1986-1988. Poétique d'une histoire (2008, 3"30"), qui résulte du montage d'images tournées par différents parents adoptants de la petite Laura et d'autres orphelins.
Dans son travail elle aborde également ce sujet dans un projet éditorial Headhouse dont la couverture est entièrement composée d'un montage des différentes notes postées par les parents adoptants se rendant en Roumanie.
Laura Giraud, Headhouse, 2008 et détail.
Comme on peut le voir dans la note ci-dessus, le couple d'amis, eux-mêmes parents adoptants, rapporte les premiers pas de l'enfant. Cette note évoque parfaitement ce que cette attente signifiait du point de vue des parents adoptants, privés des étapes fondamentales du développement de "leur" enfant. Ces couples devaient interrompre à plusieurs reprises cette relation naissante limitée à quelques jours. Certains rapportent qu'au début du séjour, le nourrisson n'était absolument pas réceptif. Les regards et la complicité ne commençaient à s'établir que le départ approchant.
Ces départs successifs, comme un nouvel acte d'abandon, signifiait être privé de cette unique et fragile relation des premiers temps que tout parent connait, avec l'assurance en moins de pouvoir revoir ni de pouvoir ramener cet enfant, laissé dans un pays en crise. Angoissant, frustrant et culpabilisant, on peut se demander quelle conséquence a eut ce climat psychologique sur la relation parentale et filiale ?
Beaucoup disent "On ne naît pas parent, on le devient"... comment se sont construites ces familles avec de tels départs ? Certains enfants ont des souvenirs, d'autre non. Certains couples n'ont pas survécu à cette épreuve, confrontant les enfants à une deuxième forme d'abandon.
Trop souvent, les enfants adoptés sont jugés des enfants à problèmes à cause de leur parcours, ce "faux départ" comme certains l'appellent. Mais on s'interroge trop peu souvent sur l’incidence qu'a cette étape de l'adoption pour les parents, de la formation d'un dossier à l'obtention de la garde plénière.
Que représente l'adoption et ses conséquences pour ces candidats ?
Quelles conséquences ont ces premiers temps de construction familiale à l'échelle non pas seulement de l'enfant, mais à l'échelle des couples, voire des familles ?
Il ne s'agit pas d'amoindrir l’intérêt porté au bien être des enfants, mais au contraire de s'interroger sur la responsabilité des adultes mis en cause dans ces procédures d'adoption, des autorités à l'ensemble de la cellule familiale. Avec l'affaire des "bébés roumains", certains couples ont été laissés à eux-mêmes pour adopter, les menant à des dérives. Que ce soient pour les parents ayant acheté et choisi un enfant, ou ceux témoignant avoir connu "deux ans de grossesse". Comment sont-ils devenus "parents" ?
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Après dix ans de procédure
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Soixante-quatorze enfants roumains pourront rejoindre leurs parents adoptifs en France
Soixante-quatorze enfants roumains qui attendent, certains depuis plusieurs années, de rejoindre leurs parents adoptifs français vont enfin pouvoir gagner la France, a annoncé, le mardi 19 juillet [1988], le ministère des affaires étrangères à Paris. Le conseil d’Etat roumain a, en effet, approuvé leur adoption et la liste des enfants concernés a été remise ces jours derniers par l’ambassade de Roumanie au Quai d’Orsay.
L’affaire des « bébés roumains » remonte à une dizaine d’années. A l’époque, des avocats roumains étaient venus en France proposer à des couples d’adopter, moyennant une certaine somme, des enfants roumains. Les candidats à l’adoption se sont rendus en Roumanie, où ils ont pu choisir comme on leur promettait « leur » enfant avant d’ouvrir une procédure d’adoption. Les difficultés sont apparues quand ils ont demandé une sortie du territoire. Malgré de nombreuses démarches, la Roumanie s’opposait au départ des enfants.
Alerté, le gouvernement français est intervenu à plusieurs reprises. En 1982, M. Michel Jobert, alors ministre du commerce extérieur, avait évoqué ce sujet, lors d’une visite officielle à Bucarest, repris depuis lors à chaque visite d’un responsable de la diplomatie française en Roumanie ou de la diplomatie roumaine en France.
En avril 1983, M. Claude Cheyson, alors ministre des relations extérieures, avait obtenu le déblocage de quelques cas. Mme Mitterrand elle-même était intervenue sur ce problème. En novembre dernier, M. Didier Bariani avait déploré, en recevant au quai d’Orsay son homologue roumain, M. Aurel Duma, la « difficile passe » que traversaient les relations franco-roumaines, tant sur le plan économique et culturel que dans le domaine des droits de l’homme. Il avait émis le souhait que « du côté roumain, les services compétents ne suscitent pas de faux espoirs » chez les parents candidats à l’adoption.
En février dernier, le gouvernement roumain a fait savoir qu’il n’accepterait plus à l’avenir l’ouverture de nouveaux dossiers d’adoption. Les parents adoptifs de quatre-vingt-douze autres enfants attendent encore cependant l’autorisation du gouvernement roumain.
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